En plus du journal, du livre, du site, de la radio, l’équipe a trouvé de quoi s’occuper par temps de confinement…
Nous : chômage partiel ? Travail double !
Brigitte repart à ‘‘l’usine’’
Aide-soignante de profession, attachée parlementaire en circonscription, Brigitte a renfilé sa blouse.
« Au début, t’entends dire que l’hôpital est débordé. Et puis, tu vois passer sur Facebook une alerte du CHU d’Amiens, un appel à l’aide. Avant de travailler en circo, j’étais aide soignante pendant vingt ans. Essentiellement en psychiatrie, puis pendant cinq ans en Ehpad. C’est vraiment un métier que tu choisis. Tu as la fibre. Tu aimes ça, te mettre au service des gens, travailler en équipe, sentir que tu appartiens à quelque chose. Alors, quand tu les vois dans la merde, tu y retournes. Tu te dis que tu seras utile. J’ai commencé le 8 avril, après une visite médicale. Je me suis retrouvée à SaintVictor, où ils ont fermé l’unité d’ophtalmologie pour accueillir des malades du Covid, en plus du service de gériatrie. Soit quatrevingts lits au total. J’ai reçu un super accueil de l’équipe. La gériatrie, c’est un peu la cinquième roue du carrosse, ça n’attire pas grandmonde. En plus, certains soignants ont eu le Covid, ou devaient gérer des gardes d’enfants, et ne pouvaient pas être là tout le temps. Bref, je suis arrivée dans une équipe sur les rotules, avec des RTT qui sautaient, des vacances qu’ils ne pouvaient pas prendre, des journées qui duraient dix, onze, douze heures, parce qu’il n’y avait personne pour te remplacer, donc il fallait rester… Et puis, il y avait le contexte, et le fait de devoir se protéger : tu mets la charlotte, un tablier, un masque, un pantalon, une surblouse, ça entrave ta vision, tu as chaud, tu dois faire un effort de concentration à chaque geste, réfléchir à ce que tu fais. Mais j’ai tout de suite retrouvé mes marques, après trois ans sans pratiquer. Ça, ça allait. Bien sûr, il y avait comme une petite angoisse, un bruit bas. Pas quand tu travailles, là tu as la tête ailleurs, mais quand tu quittes ton poste, que tu prends ta voiture, que tu rentres chez toi : estce que tu vas pas le ramener chez toi, le filer à tes gamins ?
Niveau matériel, on ne manquait pas, même si on travaillait vraiment à l’économie. Ce qui manque, c’est l’humain, le personnel. C’était chaud, par moments, à deux pour les quarante lits. Et le relationnel, du coup, c’est une catastrophe. Les malades âgés étaient dans une telle désespérance, sans visite des familles, avec des troubles cognitifs, obligés de rester seuls en chambre… On peut avoir des petites contentions chimiques, pour ça, des médicaments pour les calmer. Mais tous les produits étaient redirigés vers la réa. Alors, ça allait vers de la contention physique. Ils les attachaient, oui. Beaucoup, je trouve. À tour de bras. Au bout d’un moment, ça devenait systématique, on ne se posait plus de questions. Et ça, ça ne devrait plus exister. Depuis la fin des années 1980, on n’en voyait plus trop. C’est un vrai retour en arrière, et qui est dû à une chose : le manque de personnel. C’est un peu ‘‘retour à l’usine à vieux’’. Si on était plus nombreux, on pourrait passer davantage de temps avec les gens. Mais là, ils n’envisagent même pas de recruter. Et pour la fameuse prime de mille euros, ils jouent sur les mots : seuls les services de réa vont avoir l’étiquette ‘‘Covid’’, et donc la recevoir. Pour les autres, même s’ils ont soigné des malades du Covid, rien n’est sûr. Pourtant, les soignants que j’ai vus étaient fatigués, usés, mais revenaient toujours bosser.
Enfin, mon grand plaisir, c’est que je n’ai pas eu un seul décès pendant les trois semaines où j’ai travaillé dans le service. Je m’attendais au pire. Quand je pense à Marcelle, 93 ans, qui est arrivée amorphe, avec 40 de fièvre… Je pensais la voir partir très vite. Trois semaines après, on chantait toutes les deux dans sa chambre. »
Fabien, maître de la loge
À Amiens, notre chef logistique a ouvert sa porte avant de la fermer.
« J’héberge assez souvent des jeunes migrants, des gamins qui sont scolarisés sur Amiens en internat, et qui, le weekend, vont d’une maison à l’autre. Michaël, je l’avais déjà accueilli à son arrivée en France. Il a 17 ans, il vient du Cameroun. Il a un petit frère làbas, mais est orphelin. Il ne veut pas retourner au pays. Bref, le weekend du 14 mars, on l’accueille chez nous. Et là, Macron annonce la fermeture des écoles pour le 16 ! Il avait nulle part où aller. Alors, il est resté à la maison, et ça fait six semaines qu’il y est ! l’appart est pas vraiment conçu pour y vivre à cinq, mais ça va. Il a pris le canapé. Et ça se passe bien, il participe à la vie de la famille, prend sa part des tâches ménagères. Bon, on n’a plus d’eau chaude après deux douches, mais c’est pas un souci ! Michaël fait un bac pro mais prend aussi, d’habitude, des cours de théâtre. Alors, avec ma fille Emma, qui a onze ans, ils rejouent des scènes de films célèbres. Faut dire qu’il est à bonne école : on regarde tous les Louis de Funès, qui sont rediffusés pendant le confinement. Et les anciens matches de foot de l’équipe de France, aussi ! Maintenant, il en veut à Maxime Bossis, qui avait raté son tir au but contre la RFA en 1982… »
Thibault tombe les masques
À Vierzon, notre directeur a lancé un atelier clandestin.
« Dans la foulée du confinement, j’ai lancé un groupe d’entraide chez moi, à Vierzon. L’idée, c’était de pouvoir aider les gens qui peuvent pas aller faire leurs courses ou acheter des médocs, parce qu’ils sont trop vieux ou trop fragiles. Et puis, très vite, avec une camarade, on se dit qu’on pourrait fabriquer des masques. Elle, elle est AVS mais elle avait bossé dans la confection, avant. Du coup, je me mets à la logistique : je récupère des vieux tissus de ma grandmère, et je lui file. Puis une copine à elle nous rejoint, une ancienne de la confection, aussi. Bon, on se dit qu’y a peutêtre un truc à creuser. On lance un appel sur les réseaux sociaux, auprès des assos, et en cinq jours on se retrouve avec une trentaine de couturières pour aider ! Avec, souvent, le même profil, ça m’a frappé : d’anciennes ouvrières du textile qui avaient perdu leur boulot, et étaient devenues AVS. Et qui avaient gardé une machine chez elle.
Des assos nous rejoignent, la mairie propose de nous donner un coup de main, elle nous file un kilomètre d’élastiques ! Et puis, l’hôpital de Vierzon nous contacte, et puis une clinique de Bourges… à partir de là, l’objectif, ça devient d’équiper tous les habitants de Vierzon d’un masque réutilisable. 26 000 masques ! Y avait du boulot. On met mon numéro sur les réseaux sociaux, sur des affichettes, partout, pour avoir du matériel, et je reçois des centaines de coups de fil. Avec du porte à porte, on récupère du tissu, des élastiques, des biais (ouais, moi non plus je savais pas ce que c’était : c’est un bout de tissu pour faire les finitions). Les couturières bossaient de chez elles. Parfois, je prenais des draps chez des gens, et je les donnais sur le palier d’à côté, chez la voisine, pour qu’elle les couse. Ils ne s’étaient même pas parlé ! Au final, on aura réussi à confectionner 4500 masques, je pense, qui vont venir compléter ceux que la mairie a commandés au Portugal. Et la semaine prochaine, on reprend le porte à porte pour les distribuer à tout le monde. »