Moi qui me lançais pour un job d’été, j’ai trouvé le moyen de devenir millionnaire !
Comment vider les fonds de pension américains

Paris, hôtel Lutétia, août 2023
« Un café à 11 euros, c’est normal ? Et un petit‑déjeuner à 45 euros ? » Ce matin‑là, devant l’hôtel parisien où je suis venu les récupérer, je ne sais pas trop quoi répondre au couple de retraités américains que je dois emmener en Normandie. « Euh... It depends... Was it good ? », je demande, faussement naïf. « It was just okay… », me répond la dame, poliment. Traduction : pas terrible !
Depuis quelques semaines, je bosse comme chauffeur‑accompagnateur touristique sur la côte normande. Un job d’été. Je conduis de très riches Américains, surtout, retraités, souvent, depuis leur hôtel parisien, Roissy, ou leur paquebot, et direction Omaha Beach et les plages du Débarquement, Honfleur ou le Mont‑Saint‑Michel.
Par curiosité, avant de reprendre le volant, je me renseigne sur le prix d’une chambre au Lutétia, le cinq étoiles où ils ont créché : la moindre piaule est à plus de 1350 euros la nuit ! Le mari me confirme, alors qu’on démarre : « Pourtant, on a pris la plus petite, mais j’imagine que c’est comme ça à Paris. » Mais plus rien ne me surprend : ces clients américains, leur pouvoir d’achat me paraît sans limite. Il n’y a qu’à voir les pourboires qu’ils me filent en fin de journée : 50 euros, parfois, pour un simple détour de dix minutes, parfois deux fois plus pour venir de l’aéroport ! En discutant, je comprends vite que la plupart viennent des États les plus riches du pays : Californie, Texas, Floride, New York... Et qu’ils exercent (ou exerçaient) souvent les mêmes métiers. Mon Van huit places déborde de conseillers financiers, informaticiens, comptables, juristes et autres responsables marketing...
J’y ai vécu aux États‑Unis, et je me demande, comment ils font pour se payer de telles vacances à 10, 15 ou 20 000 euros la semaine. Parce que, dans leur pays, tout coûte déjà un bras ! Dès la naissance, en plus : près de 19 000 dollars en moyenne par accouchement. La crèche, ensuite : « Pour ses deux enfants, ma fille en a pour plus de 3000 dollars par mois ! », s’exclame une cliente à côté de moi, stupéfaite du faible reste à charge pour les parents, ici, en France. Les études supérieures, ensuite : plusieurs milliers, voire dizaines de milliers de dollars par an. Et je parle même pas des frais de santé… « Chez nous, à New York, un bras cassé, c’est 2000 dollars, calcule une retraitée en jetant un oeil sur le paysage. Et encore, parce que mon fils et sa femme paient chacun 600 dollars de mutuelle par mois. » Sans sécurité sociale digne de ce nom, il faut aussi mettre de côté en cas de chômage, de maladie, anticiper la retraite... Bref : à chaque événement de la vie, les poches se vident à vitesse grand V.
Alors il faut bien les remplir d’une manière ou d’une autre, pour s’offrir des vacances en France... Un père de famille qui débarque de Virginie me lâche l’info, comme s’il me faisait profiter d’un bon plan, sous le manteau. « Moi, ce que je conseille à mes clients, c’est d’acheter des actions dans des groupes qui versent des dividendes même quand ils ne font pas de bénéfices, comme Procter & Gamble. Ce type de placements, depuis que ça existe, c’est vraiment ce qu’il y a de mieux pour se créer un capital. » Grâce à cet argent magique, sa femme et lui ont pu emmener leurs trois ados en Europe pour fêter l’entrée de l’aînée à l’université. Pas mal comme cadeau pour le bac ! Mais je ne peux pas m’empêcher de l’ouvrir : « Le problème, c’est que pour verser des dividendes sans faire de bénéfices, ces boîtes rognent sur les charges, les salaires, le matériel, je rétorque, sans réfléchir. Du coup, c’est les employés qui trinquent...
— C’est vrai, ça, papa ? », demande la plus jeune de leurs filles.
Silence dans le Van.
Je crois que je peux m’asseoir sur mon pourboire pour aujourd’hui…