n° 102  

Des sages‑femmes pas si sages !

Par Cyril Pocréaux |

À Amiens, les sages‑femmes criaient leur détresse sans qu’on ne les écoute. Jusqu’à ce qu’elles se mobilisent, s’entraident. Et alpaguent le Président Macron par le col…


« On a vraiment eu des situations très compliquées : des hémorragies pendant l’accouchement, des césariennes en urgence. Alors, on demandait aux autres patientes, qui allaient accoucher, d’attendre ! Parfois pendant plusieurs heures ! On est passés à côté de gros soucis… » Frédérique soupire, quand elle se replonge trois mois en arrière. à l’automne dernier, la maternité de la clinique Pauchet, à Amiens, craque : pas assez de personnel, et des vies – celles des femmes et de leurs bébés – en danger. Frédérique énumère les charges. « Des filles en arrêt pour burn out, d’autres qui pleurent en sortant de leur garde. Parce qu’on bâcle ce qu’on fait, donc ça déprime. On travaille dans un service à la personne, mais on ne fait que traiter des urgences ou de l’administratif. »

Elles avaient bien essayé d’alerter, en vain. « Le sentiment de ras‑le‑bol enflait depuis plusieurs mois. On avait fait des grèves totalement invisibles : on déposait le préavis, les huissiers nous réquisitionnaient comme prévu par la loi, alors on travaillait avec un brassard de gréviste… Mais personne ne nous demandait pourquoi. » Et la direction ? « Ils expliquaient que leurs financements venaient surtout de l’état, et qu’ils étaient en baisse. » Avec des préoccupations assez éloignées des soignantes. « Ce sont des directeurs financiers, on les voit pas beaucoup en salle d’accouchement… » Alors Frédérique, Cécile, Marie‑Eve, Constance et les autres passent à la vitesse supérieure. Déclarent une nouvelle grève en dernière minute. La direction, vicieuse, joue le bras de fer, et ferme la maternité. « On était super mal, sidérées, même… Parce qu’on aime notre métier, nos patientes. On se demandait comment nos collègues du CHU pourraient absorber la surcharge. » Les filles sont à deux doigts de craquer. « Et là, on a rencontré François Ruffin à sa permanence de député. Il nous a dit qu’on était sur la bonne voie, que c’était le principe d’une grève, que ça finirait par payer. Ça nous a reboostées, vraiment. Et puis, on n’était jamais allées aussi loin dans notre action. Si on arrêtait là, on n’aurait rien pu revendiquer d’autre à l’avenir. »

Il en aura fallu, de la solidarité. « On est restées soudées. Dès qu’une de nous perdait pied, parce que c’est dur, une grève, les autres la remontaient. Une cagnotte en ligne nous a permis de compenser nos pertes de salaire, même les collègues du CHU ont donné. Cette solidarité, ça va au‑delà de l’argent. » Pendant ce temps, la grève gagne d’autres services de la clinique. Quant aux sages‑femmes, dont aucune n’était syndiquée au début du conflit, elles s’organisent. Préparent banderoles et pancartes : c’est qu’Emmanuel Macron a prévu de passer à Amiens, le 22 novembre. « Il fallait porter l’affaire plus haut, même notre direction nous l’avait laissé entendre. On l’a prise au mot… » La jonction se fait : les collègues du CHU rejoignent aussi la manif. Et le Président, qui essaie un temps d’esquiver la colère, est finalement interpellé. « On lui a parlé de situations du quotidien, c’est ça qui pouvait le toucher. Les réseaux sociaux ont relayé la scène, c’est devenu viral. On avait touché l’opinion, ça a eu un gros impact. » Le jour même, la direction de la clinique, « vigilante quant à son image », rouvre la porte des négos. Et lâche, enfin, dans les jours qui suivent : une sage­‑femme supplémentaire en salle d’accouchement, une aide‑soignante aux urgences, une auxiliaire de puériculture en plus, un statut de cadre sur mesure, une prime mensuelle à vie… Frédérique sourit : « Vu d’où on partait, ça pourrait même montrer l’exemple à ceux qui hésitent à se mobiliser… »