Un ordinateur ! Pour écrire les articles, c’était quand même pas trop demander, non ? Ben si. Du coup, il faut rogner ailleurs…
Les petites mains : encore pires que l'ancien !

« Tiens, au fait, Camille demande si on peut l’aider pour l’achat d’un nouvel ordi, pour écrire ses articles : le sien a planté, du coup il doit utiliser celui de sa belle‑mère… » Le repas, à Fakir, entre le pâté picard, les pâtes‑gruyère et les gâteaux secs en dessert, c’est souvent l’occasion de régler quelques petites questions logistiques. Enfin, quand on dit « régler »… « Bah, on lui a payé son nouvel enregistreur quand le sien l’a lâché, c’est déjà pas mal, non ? » a lâché Cyril, l’air détaché, en sauçant la sauce tomate dans le plat. « Mouais, c’est pas faux, a enchaîné Tristan. Et ça nous avait coûté 39 euros, quand même… » On n’y croyait pas : ils se faisaient leur délire, ces deux‑là, rédac’ chef et dirlo main dans la main, qui se prenaient pour les ministres des Comptes publics, et il faut savoir être « budgétairement responsables », et « Fakir ne peut pas tout », et « on est à l’euro près, ou pas loin ». Des apprentis Bruno Le Maire en sweat capuche ! Et Camille qui n’était même pas là pour plaider sa cause…
« Nan mais attendez… Vu nos salaires, au canard, c’est légitime, non, de demander ça ? C’est son outil de travail, quand même !
— Y a deux vieux ordis portables, au 2e étage, qui servent à rien depuis des années. On peut pas nettoyer le disque, on fout Linux dessus et hop, on le file à Camille ? D’une pierre deux coups : ça fait plaisir et ça débarrasse !, a calculé le rédac’ chef.
— Mais…
— Ouais, ça peut se faire, a rebondi Tristan. Mais attendez… Camille, il vient d’avoir une petite fille : du coup, il va avoir droit à la prime naissance de Fakir ! »
On osait à peine deviner la suite. Parce que oui, quand un bébé arrive dans l’équipe, l’heureux parent a droit à un pack bébé, body et hochet Fakir, et une petite prime, c’est vrai.
« Petite prime ? » s’est étouffé Tristan. « 500 euros ! Avec ça, il s’en achète deux, d’ordinateurs, dernier cri, en plus !
— Mais vous avez pas honte, tous les deux ? On pensait s’être débarrassé du plus gros des radins avec Ruffin, mais vous êtes encore pire que lui ! »
Y a eu un silence, un silence de plomb.
On savait tous ce que ça valait, cette comparaison, sur l’échelle Picsou.
Alors, tout gêné, Cyril a tenté de justifier l’injustifiable. « Enfin, vous savez… C’est surtout pour Camille que je dis ça, moi. On est tellement soumis aux écrans, tout le temps… Est‑ce que ce serait vraiment bien pour lui, qu’on lui achète un ordi ? Je pose la question. Je vous ai déjà dit que mes articles, au tout début, je les écrivais à la main ? Je m’en portais pas plus mal. Franchement, on est tellement soumis au numérique, à la technologie… »
Aux dernières nouvelles, Camille n’a toujours pas de nouvel ordinateur, et sa belle‑mère commence à râler. Mais on fourbit nos armes : puisque « la technologie nous soumet », on a annulé l’option « lumières à commande bluetooth intégrée » pour le jacuzzi, celui qu’on a commandé pour Noël sans leur dire, aux deux tyrans. On a hâte de voir leur tête, sous le sapin fakirien.
Le SPMF, le Syndicat des Petites Mains Fakiriennes.