« J’adore les élections, ici en France ! C’est si tranquille, si cool…
— Ah ouais, tu trouves ? Vraiment ?
— Vraiment ! Comparé à chez moi… »
Eskimo, élu roi des nains !
Houilles (78), le 24 avril
Avec Eskimo, on discute sur mon canapé, devant la soirée électorale qu’il me demande de lui traduire. On parle anglais : il est réfugié de Sierra Leone. Et il est mort de rire, devant la télé.
« Et comment ça se passe, chez toi ?
— C’est de la folie ! Déjà, trois mois avant, plus personne ne travaille, les bureaux ferment pour que les gens puissent manifester… Plein de gens portent le tee-shirt de leur candidat, dansent et chantent dans les rues. Ici, il ne se passe rien. Et tout le monde est si calme, dans les débats ! »
Il est bien placé pour comparer : son père était député, lors de la précédente législature, au parlement de Sierra Leone. Mais au dernier changement de majorité, les choses se sont gâtées, pour le camp perdant. « J’étais dans la capitale, je vivais là-bas et j’ai appris que des soldats attaquaient la maison de mes parents. J’ai sauté dans un train, mais quand je suis arrivé, notre maison était en feu. Ils avaient tué ma mère et mon père. » Eskimo avait 19 ans, à peine, et une petite fille qui venait de naître, déjà. La mère, elle, était morte en accouchant. « J’ai fui dans mon village natal, mais ils m’ont recherché. Alors, je suis parti dans le bush. » Sa fuite le pousse vers l’étranger, puis vers l’Europe, coincé trois ans dans un camp pour migrants en Allemagne, avant d’arriver en France. Quatre ans qu’il n’a plus vu sa fille. Depuis un mois, puisqu’il n’a pas d’endroit où dormir, il a atterri à la maison. Mon plus jeune garçon lui a laissé sa chambre et dort avec son frère. (Oui, mes gamins sont super.)
« Mais, au fait, pourquoi tu t’appelles Eskimo ? Ça doit pas être courant, comme nom, surtout en Afrique.
— J’en avais jamais connu d’autres, mais maintenant j’ai deux copains qui ont appelé leur fils comme ça.
— Les Eskimos vont envahir l’Afrique !
— Oui, on va se répandre partout [il se marre] ! Je sais que ce nom vient de mon grand-père, qui avait adopté mon père. Je lui ai demandé à mon père d’où ça venait, il avait promis de me dire. C’était en 2014, je me souviens, j’étais tout jeune. J’étais assis à côté de lui. Je voulais qu’il arrête la politique, parce que je savais que c’était difficile, surtout quand on est dans l’opposition. Si t’es au gouvernement, c’est OK, sinon… Mais mon père n’a pas eu le temps de me révéler ça.
— T’as aucune idée ?
— Je sais que les Eskimos, c’est un peuple qui vit au Pôle nord, et qu’ils ne sont pas très grands. Je suis pas très grand, moi non plus. Alors, quand on me demande, je dis que c’est peut-être parce que je suis le plus grand des Eskimos. Que je suis le roi des nains ! »
Et il se marre, encore.
Il a raison : les élections, en France, c’est cool, quand même.