n° 104  

Les petites mains : Fakir à la mode Feng Shui

Par Le SPMF, syndicat des petites mains de fakiriennes |

Depuis cet été, dans nos locaux, c’est un peu luxe, calme et volupté.
Enfin, presque…


« Ah ouais, quand même… »
En rentrant de vacances, certains ont écarquillé les yeux, immobiles dans l’entrée, en arrivant au local. C’est qu’on se serait cru dans une de ces émissions télé qui vous changent votre baraque en 24 heures. Le grand nettoyage de printemps, au gré de l’été, décidé par la direction : améliorer le cadre de travail pour mieux bosser, mieux respirer. Même un Fakir ne peut vivre éternellement sur un tapis de clous rouillés ! Repeints, les murs, aux couleurs pastel. Pliés, les cartons vides qui traînaient là depuis des années. Réparées les fenêtres coincées. Et un jeu de Tetris géant avec les meubles. Du home-staging, ça s’appelle, à la téloche.
Bouche bée, on en est resté.

« Moi j’aime bien, s’est exclamée Aline, en découvrant le changement. J’étouffais, dans ce bazar organisé !
  C’est sûr que ça change...
  J’avais jamais vu qu’y avait du carrelage, sur ce mur…
  Et même une pièce inconnue, ici, regarde… »

On se serait pris pour des Indiana Jones découvrant un nouveau temple. Du rez-de-chaussée au deuxième étage, tout avait bougé. La salle de bain, autrefois remplie de caisses de tee-shirts, et « I love Bernard » dans le lavabo, et « I Love Fakir » dans la baignoire, était vide. Et redevenait, de fait, une salle de bain. La cuisine, repeinte en blanc, nettoyée, bien éclairée.
Pascale s’est retrouvée avec un bureau immense, style architecte new yorkais. Jamais elle n’avait eu autant de place. Fabien, lui, a failli faire une (nouvelle) attaque en voyant la cuisine. C’est que tout ce rangement, tout ce propre, ça l’angoissait.
« C’est bien, c’est sûr : je cuisine en voyant ce que je prépare. Mais ce coup de neuf, c’est pas très bon pour la biodiversité, il a plaidé.
- Hein ? Pourquoi ?
  Ben oui, y avait quand même toute une flore, et même une faune, qui vivaient là depuis des années, qui se développaient gentiment… On vivait en symbiose, avec elle.
  J’arrive pas à croire que tu parles comme ça des bactéries…
  Ce qu’y a de bien, c’est qu’on a de la place, regardez : je peux faire le tour de la table sans rien enjamber ! Sans même risquer de tomber ou de prendre un truc sur la tête ! »
C’est que la déco, avant, c’était surtout des piles de cartons jusqu’au plafond…

Et puis, Magalie a commencé à chercher, dans la salle de bain… La baignoire, enfin dégagée, c’est la première fois qu’on la voyait.
« Et elle fait des bulles, celle-là, vous croyez ? », elle a demandé, soupçonneuse.
On s’est tous regardés. Les grands travaux avaient été menés, oui. Mais toujours pas de jacuzzi.
Il va falloir repartir en lutte, pour conquérir ce droit essentiel.
L’histoire est un éternel recommencement...