L’hôpital, celui des « héros en blouses blanches » est exsangue, à bout de forces. À cause de la crise sanitaire ? Non. à cause de vingt‑cinq années de politiques publiques, aggravées par les décisions d’Emmanuel Macron.
Car laisser mourir l’hôpital relève d’un choix...
Hôpital : ce crime que macron maquille

Au cœur de la crise Covid, alors qu’Emmanuel Macron élevait les soignants au rang de « héros en blouse blanche », qu’il leur adressait « la reconnaissance de la Nation toute entière », saluaient leur « courage exceptionnel », il s’engageaient sur un « grand plan d’investissement pour l’hôpital ». Olivier Véran, ministre de la Santé le promettait, dans la foulée : « Il y aura un après pour l’hôpital. » Mais, dès l’automne, dans le budget de la Sécu, le gouvernement rognait un milliard d’euros sur les hôpitaux. Combien de réanimateurs en plus sont prévus, alors que la France en avait cruellement manqué ? Aucun. Et en cette année Covid, il supprime même 5 700 lits d’hôpitaux. Comme si de rien n’était : « Nous sommes le seul pays au monde à avoir continué à fermer des lits en pleine pandémie », déplorait le syndicat des infirmiers. Des soignants dépités : « Si ça n’est pas maintenant, après une pareille crise, après de pareils serments, alors, ça ne changera jamais. » Le découragement s’est installé, pas seulement la fatigue, mais un abattement moral.
Qu’observe‑t‑on aujourd’hui ?
Une « désaffection » de l’hôpital. Au sens propre, presque : les soignants partent, par manque d’affection. Dans son dernier rapport, le Conseil scientifique « alerte sur le climat d’épuisement, parfois de démotivation, des personnels soignants ». À Laval (voir pages suivantes), les urgences ferment désormais en soirée, tout comme à Ambert, à Givors, à Draguignan, et la cheffe de service accuse : « Ne rien dire, c’est consentir, et vous monsieur Véran, à votre niveau ne rien faire c’est de l’abandon de population, de la non‑assistance à personne en danger. » À Compiègne, un médecin témoigne : « Ce matin, une collègue a appelé 21 services de réanimation pour un accident. Il n’y avait de place nulle part, dans aucun hôpital. Je n’ai jamais vu ça. Je ne souhaite à personne d’avoir un accident dans les Hauts‑de‑France. » Pour le Snipi, le syndicat d’infirmiers, « la situation n’a jamais été aussi catastrophique. On a le sentiment que demain va être pire encore ». Le Collectif inter‑hôpitaux sonne l’alarme : « Les soignants partent parce qu’ils ne peuvent pas faire leur travail. » Le patron du CHRU de Lille confie : « J’ai rarement été aussi inquiet ». À Bichat (Paris), la neurologie a fermé. À Creil, la cardiologie. À Nancy, la chirurgie digestive. À Bordeaux, des services tournent avec une aide‑soignante pour vingt patients. Les hôpitaux prennent l’eau. Cette situation, Emmanuel Macron l’a voulue. Elle est de son fait, de sa faute. Il a tout fait pour.
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« Il n’y a pas d’argent magique. » C’était à la sortie du CHU de Rouen, en avril 2018. Le Président croisait deux infirmières, qui l’interpellaient : « On a besoin d’argent…
— Le déficit public, ce sont vos enfants qui le paient, accusait le Président.
— Le déficit public, c’est beaucoup les banques pour l’instant, reprenait la soignante. Ce n’est pas tant les hôpitaux…
— Mais non, ce n’est pas vrai, la corrigeait l’ancien banquier. Pardon de vous dire, ce n’est pas les banques, vous dites des bêtises. Nous, aujourd’hui, nous vivons à crédit… » Et ce « déficit », c’était leur faute, évidemment, à ces blouses blanches. Il poursuivait : « Ce que je dois à tous nos concitoyens, c’est d’investir… » Sous‑entendu : l’argent pour le « système de santé » serait gaspillé.
C’est le credo, guère nouveau. La santé est un coût. à diminuer, donc. Chaque automne, dans l’Hémicycle, examinant le budget de la Sécurité sociale, le mot « réduction » résonne (24 fois en 2019), « déficit » (37 fois), « objectifs de dépenses » (dix fois), « efficacité » (17 fois). On ne les entendait plus, ces phrases, tant elles appartenaient au paysage. Mais jamais « embauche » (zéro fois). Jamais « moyens supplémentaires » (zéro fois). Tabous, eux. En trois budgets sous sa présidence, 12 milliards furent épargnés sur la Santé. C’était la routine, une fatalité. Car Emmanuel Macron n’a rien inventé, guère « disruptif » : il s’inscrit dans une continuité.
Depuis Alain Juppé qui, sous Chirac 1, a édicté par ordonnance l’Ondam, l’Objectif national des dépenses d’assurance maladie, un plafond pour le budget de santé, à ne pas dépasser, quels que soient les besoins de la population. En passant par Jean‑François Mattéi, Chirac 2, et son « plan hôpital 2007 », qui instaure la tarification à l’acte (T2A). Puis un autre « plan de modernisation », financé sur les marchés financiers, qui avec la crise financière de 2008 a endetté massivement les établissements. En passant par Roselyne Bachelot, sous Sarkozy, et sa loi « Hôpital, patients, santé et territoire ». Qui démet les médecins de leur pouvoir, le confie à des directeurs d’hôpitaux, rouage administratif et budgétaire. Jusqu’à Marisol Touraine, sous François Hollande, et sa « loi de modernisation de la santé ». Qui crée des « groupements hospitaliers de territoire », incitant à la fusion, à supprimer des lits, à faire des économies. Au fil de ces lois, de ces réformes, le soin s’est transformé en ligne comptable dans un tableau Excel. Le « virage ambulatoire » a fait des miracles, sinon de guérison, du moins dans les budgets : en une vingtaine d’années, un quart des lits, près de 100 000, ont disparu. Tandis que les passages aux urgences doublaient, de 10 à 20 millions. De quoi, forcément, dégrader les soins. Et ça fait partie, on le sait, de la stratégie, pour liquider un service public : que le service ne soit plus rendu au public, ou qu’il le soit mal.
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Chez les soignants, le malaise montait.
Un malaise simple, et sain : le sentiment de ne pas faire, ou de mal faire, son métier. L’angoisse de ne pas apporter, aux humains en face d’eux, en face d’elles, les soins dont ils ont besoin. « À partir du seuil d’un soignant pour sept patients, il y a une augmentation d’environ 7 % de la mortalité par patient supplémentaire. Si vous arrivez à un soignant pour douze patients, vous avez 35 % de mortalité supplémentaire. » C’est la revue médicale de référence The Lancet qui livrait ces chiffres, en février 2014. Et l’étude concluait : « L’hypothèse selon laquelle la dotation en personnels infirmiers va être réduite pour faire des économies et sans nuire aux patients est au mieux stupide, au pire fatale. » Ces statistiques, ces soignants les vivaient, les portaient comme des ombres sur la conscience, c’était confus, diffus, mais ça usait. Après leur formation, chiffre leur syndicat, 30 % des infirmiers quittent le métier avant cinq ans.
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Le coronavirus, bizarrement, paradoxalement, a sans doute retardé la crise. Face au danger, on trouve des ressources en soi, d’énergie, de combativité. C’est là‑dessus que l’hôpital allait tenir, encore, dans cette crise Covid, tenir sur les nerfs, tenir malgré l’inquiétude de « mal faire son travail ». Car cette fois, ils ont dû choisir : qui va‑t‑on sauver ? qui va‑t‑on laisser mourir ?, et non pas abstraitement, avec des chiffres et des concepts, mais très concrètement. Ils, elles ont tenu, aussi, parce que ça ne durerait qu’un temps, juste un printemps, parce qu’il y aurait un « après », qui ne serait pas forcément radieux, mais quand même un peu mieux. Comment ne pas y croire, comment ? Quand le chef de l’état, à Mulhouse, au milieu de la tragédie, dans un hôpital militaire de fortune, promet la main sur le cœur : « L’engagement que je prends ce soir pour les soignants et pour la nation toute entière, c’est qu’à l’issue de cette crise, un plan massif d’investissement sera construit pour notre hôpital. »
Mais pourquoi attendre ? Je m’interrogeais déjà. Pourquoi attendre « l’issue de cette crise » ? Pour les entreprises, le gouvernement a rectifié son budget en urgence : 45 milliards débloqués, 300 milliards de prêts garantis par l’état. Mais pour l’hôpital, rien. Aucun « PLFSSR », « Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale Rectificatif » : en clair, pour affronter le virus, on ne corrigeait pas le budget de la Sécu, pas de rallonge prévue... Le « plan massif » annoncé, sa première ébauche sortie des cartons, ne rompait guère avec l’orthodoxie : des « partenariats public‑privé ». « Sept cents start‑ups » privées qui feraient la « santé numérique » de demain. Des assureurs privés qui soutiennent l’ « Alliance digitale pour le Covid‑19 ». Autant de gens qui souhaitent, sans doute, le plus grand bien à l’hôpital public…
À défaut de budget, tout reposait sur la charité, les élans du cœur. Sur Leetchi, les « cagnottes solidaires » fleurissaient : « ‘‘Tous ensemble contre le virus’’ pour aider les soignants. » Patrick Drahi, lui aussi, était solidaire, et SFR m’adressait ce message : « COVID‑19 : AIDONS NOS SOIGNANTS. Apportez votre soutien et donnez 5 €, en répondant DON à ce SMS. » Et même Gérald Darmanin, le ministre des comptes publics, et de l’ISF supprimé, participait au coronathon : « Je lance un grand appel à la solidarité nationale. Une plateforme de dons sera mise en ligne… » Sanofi France, dont le président Serge Weinberg est un intime du Président Macron, donnait cent millions pour les Ehpad, contre quatre milliards pour ses actionnaires. Tout comme mon ami Bernard Arnault, et ses 234 filiales situées dans des paradis fiscaux, offrait 10 millions de masques. Les mêmes qui, de la main droite, versent des milliards de dividendes, les mêmes qui « défiscalisent », qui « optimisent », bref, qui trichent depuis des années, les mêmes « premiers de cordée » qu’on choye avec des « niches » et des « flat tax », par milliards, dizaines de milliards, centaines de milliards accumulés, les mêmes délivraient de la main gauche leur obole en millions. Mais l’urgence budgétaire, elle, n’allait toujours pas aux urgences. Même en pleine crise sanitaire, la santé demeurait un « coût », une « charge ». Et il faudrait, finalement, un deuxième budget rectificatif pour un geste envers les soignants. Le gouvernement leur accordait une « prime Covid », 1 500 € pour les plus vaillants, 500 € pour les autres, comme un manager de chez MacDo récompense l’employé du mois. Et le « Ségur », au fond, dans l’esprit d’Emmanuel Macron, devait refermer le dossier. 183 € par mois pour les infirmiers, les paramédicaux, ça se prend, évidemment. Et comme un chien de Pavlov, le ministre de la Santé qui répète « Ségur Ségur Ségur », à tout bout de champ.
Alors qu’en vérité, rien n’est réglé, avec leurs douze milliards d’économies, leurs 17 600 lits fermés en cinq ans. De pareils choix, en un tel moment, et après de grands engagements, c’est signer le crime. C’est la volonté, non dite, tacite, de laisser l’hôpital crever. La crise Covid aurait pu stopper la chute. Elle vient l’accélérer, l’achever. Car inutile de « vouloir tuer l’hôpital », il suffit de ne pas vouloir le sauver. Il suffit d’une absence de volonté. Emmanuel Macron réalise, simplement, le rêve de ses amis financiers.
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Le jeudi 27 février 2020, à l’orée de la crise Covid, le Président faisait un détour par la Pitié Salpêtrière, et ne parlait plus, là, de « déficit » et d’« argent magique » : « Je vous remercie pour votre mobilisation. » Un neurologue l’implorait : « On est à bout, on est vraiment à bout.
— Je suis là, il lui assurait.
— Non, pour l’instant vous n’êtes pas là. Vous savez quand il a fallu sauver Notre‑Dame, il y a eu beaucoup de monde pour être ému. Là il faut sauver l’hôpital public qui est en train de flamber à la même vitesse. » Emmanuel Macron tentait de l’apaiser : « Je compte sur vous et vous pouvez compter sur moi.
— Vous pouvez compter sur moi, rétorquait le médecin, l’inverse reste à prouver. » Il a prouvé, depuis deux ans, tous les jours, que non, les soignants, l’hôpital, la santé, ne peuvent guère compter sur lui.