« Moi ? Je suis là par amour. Sinon, je peux passer douze heures seul dans mon jardin à parler avec mes tomates. Tant que poussent mes carottes… »
L’exploité du mois : Hubert et Sandrine sortent le grand jeu

Hubert avait prévenu : lui est un grand pessimiste - défaitiste. « Mais si je ne la suivais pas sur les manifs, je ne verrais jamais ma femme, disent les copains… » S’il est là, à chaque événement, chaque fête, à redonner la patate aux gens, c’est donc parce que sa chère et tendre l’y traîne ? Sandrine – c’est elle – secoue la tête, se marre. « Du coup, je te fatigue, hein ? Moi, pas question que je rate tout ça. Ça m’équilibre, ça me maintient, ça m’empêche d’être trop en colère. On est plus heureux dans le combat que dans l’inaction. »
L’une finit les phrases de l’autre, et vice-versa. Des couples comme ça, ça semblait écrit. Jusque dans la généalogie, même. Le père d’Hubert, maire de Domart, dans la Somme, pendant 36 ans, « élu pour la première fois le jour de ma naissance », était socialo. À connaître les noms, prénoms et histoires de tous ses administrés, à se dépouiller chaque fois que l’un d’eux venait demander de l’aide dans le salon familial. « On est tombés dans la marmite. Petits, avec mes frères et sœurs, on coloriait les roses sur les tracts noir et blanc tirés à la ronéo. » Les grands-parents de Sandrine, qui ne savaient pas lire, ont eux traversé les Pyrénées pour fuir le franquisme. « On a été élevés à l’Huma et Pif Gadget. » Voilà qui vous met la vie sur les bons rails.
Sandrine est instit’ « dans la belle école de la République ». Hubert est formateur pour poseurs de revêtement de sol. Via Là-bas si j’y suis, ils découvrent Ruffin et Fakir, jusqu’à pousser la porte d’une réunion, fin 2016, avant les Législatives. Le gros lot : quelques jours après, les voilà en porte-à-porte sous la neige… à héberger du monde, aussi, chez eux, migrants ou militants de passage.
Surtout, le couple a trouvé une autre manière d’exercer ses talents. « On jouait tout le temps, des jeux de société, avec nos parents, avec nos enfants. Et comme j’aime bricoler le bois, je me suis mis à construire et reproduire des jeux grand format qu’on voit ici et là », il raconte. Et à les amener, suite logique, à chaque manif’. Au point que tout le monde les réclame, désormais. Même qu’on soupçonne certains de ne venir que pour ça. Hubert : « à partir du moment où tu aimes, t’as envie de partager. » La croquignole, la Bastille géante, le labyrinthe, la pétanque de table (on vous le recommande, celui-là) : les trouvailles font fureur. Les gamins adorent, les adultes aussi, à coup de défis sur l’honneur lancés entre deux discours. Sandrine : « Tu sais que tu vas mener un combat en préparant une belle journée, retrouver des copains, des belles personnes, et te dire qu’on n’est pas tout seul. » Hubert embraye : « Finalement, je peux rester douze heures dans mon jardin, mais je reste persuadé qu’il n’y a pas plus important que les rapports humains. » Il prend un air songeur : « En fait, je loue le fait qu’elle m’oblige à sortir. Sinon, je deviendrais un vieux con… » Devenir exploité : le meilleur des remèdes !