Le milliardaire américain voulait installer ses antennes satellite… au fond de leur jardin. Mais Catherine, François, Anne-Laure et les autres ont bouté les ambitions d’Elon Musk hors de leur petit village normand, et même de France !
Ils ont mis K.O. Musk !
« On était prêts à déménager.
L’antenne devait être à 70 m de chez nous. On nous dit qu’il y a un risque jusqu’à 54 m, et qu’après on est dans une ‘‘zone de transition’’. Ça veut dire quoi, ça ? Je ne veux pas vivre dans une zone de transition ! » Ils ont failli lui dire adieu, à leur petit coin de paradis. Au lieu-dit La Gralemois, dans la baie du Mont-Saint-Michel, Dimitri et Anne-Laure avaient choisi de vivre au contact de la nature : une vieille bâtisse retapée en bordure d’un bois et d’une rivière, une grange, des ânes, des poules, un paon, une ruche et même une tyrolienne pour les enfants.
Et pourtant… Lorsqu’elle a appris la nouvelle, la famille se sent presque condamnée. « J’ai rencontré ce jeune couple avec deux enfants, qui a un projet de vie – avec des animaux, des toilettes sèches, un four à granulés, etc. – beaucoup plus intéressant que celui de M. Musk », s’émeut Catherine Mingat, conseillère municipale à Saint-Senier-de-Beuvron (368 habitants). « Ils ne sont pas réfractaires à la technologie, à internet ou à la télévision, mais on vient leur coller neuf antennes satellites pile en face de leur terrain... » L’objet de leurs craintes : le projet de la société Sipartech, qui prévoit d’installer une station « terrestre » dans le pré voisin. L’Arcep, le régulateur national des télécoms, a déjà donné son accord. Comme à Gravelines (Nord) et Villenave-d’Ornon (Gironde), sans effectuer d’étude d’impact préalable. Ce que Dimitri, Anne-Laure et Catherine ne savent pas encore, c’est que l’entreprise française a été mandatée par l’américain Starlink, propriété d’Elon Musk. Pour déployer son offre internet par satellite à 705 euros le kit + 99 euros par mois, le multimilliardaire fondateur de Tesla et SpaceX doit se connecter au réseau de fibre optique via des antennes terrestres qui communiquent avec ses milliers de satellites en orbite. « Tout ça pour financer sa conquête de Mars ! », s’étrangle Catherine.
« On n’était pas opposés au projet, mais on ne trouvait aucune info sur la technologie, se souvient Dimitri. Le numérique va tellement vite, on ne sait pas jusqu’où ça peut aller. Ça fait peur. » « On a envoyé un courrier explicatif à tous les habitants de la commune, poursuit Anne-Laure. Trois ou quatre riverains se sont manifestés. Par ici, chacun s’occupe de ses affaires... » Alors, les deux quadras et la jeune retraitée créent le collectif la Veille Saint-Ségneraise. Catherine prend également contact avec un autre habitant de la commune, François Dufour, ex-conseiller régional écolo et cofondateur d’Attac. « Grâce à son réseau, l’histoire a eu un vrai écho médiatique : presse, radios, télés... Entre-temps, on a aussi tenu un conseil municipal de crise le 29 janvier 2021. Le projet d’Elon Musk a été refusé à 7 voix sur 11. Tout le monde n’était pas d’accord, certaines personnes nous ont traités d’Amish, mais on n’a rien lâché. » Or Sipartech est pressé… « Alors, on a demandé plus de précisions pour ralentir la procédure, sans jamais avoir de réponses claires. » Une vraie bataille de tranchées. Les mois passent. Le 4 janvier 2022, l’Arcep finit par abroger son autorisation. Le 5 avril, c’est au tour du Conseil d’État de mettre Starlink à l’arrêt, cette fois dans toute la France. « On n’est pas encore complètement sereins parce qu’un projet français ou européen pourrait remplacer celui des Américains. Tout le monde veut sa constellation de satellites, même l’espace est devenu une zone à consommer... », soupire Anne-Laure. Mais désormais, la Veille Saint-Ségneraise monte la garde. « La mairie nous consulte sur chaque nouveau projet, confie Dimitri. La morale de l’histoire, c’est qu’il faut choisir son camp ! » C’est comme ça qu’on gagne à la fin !