Jacqueline pensait couler des jours heureux entre le ruisseau et ses grenouilles. Mais en France, on est plutôt sur le principe du « qui pollue gagne »…
Jacqueline et le ruisseau maudit
Par Camille Vandendriessche
« Avant, dans le ruisseau, il y avait des grenouilles, des poissons, on pouvait pêcher l’anguille. Maintenant, y a plus que des eaux stagnantes, des mauvaises odeurs, les moustiques, les rats, et des détritus. C’est devenu la déchète, le bas de mon jardin ! »
Jacqueline, je l’avais rencontrée à une soirée sur la presse indépendante, dans un collège de Vire. Elle avait traversé le Calvados, plus d’une heure de route, dans l’espoir qu’un journaliste s’intéresse enfin à ses soucis : une histoire de dépôt sauvage au fond de son terrain. Même si je trouvais pas le sujet très emballant, je lui avais quand même laissé mon e-mail, par politesse. Deux jours plus tard, je recevais un long message avec plusieurs pièces jointes : des dizaines de pages de plan de cadastre, de rapports d’huissier et de décisions judiciaires. Sur le coup, ça m’avait presque filé la migraine. Mais Jacqueline m’a eu à l’usure : quand elle m’a relancé quelques semaines plus tard, j’ai fini par me rendre chez elle, histoire de mieux comprendre ce qui la tracassait tant, cette dame.
Dans sa grande maison en pierre face au canal de Caen-la-Mer, Jacqueline remonte le fil de l’histoire. Elle a 74 ans. Elle est seule, dans son combat, séparée de son mari. « Quand on a acheté en 1976, on était en pleine campagne, ici. À Blainville-sur-Orne, il y avait un épicier, un boucher, et c’est tout. Pas de grands magasins comme maintenant. À l’époque, ça ne valait rien, ici... » J’essaie d’accélérer le mouvement, en lorgnant les gâteaux secs sur la table.
« Et ça a commencé quand, exactement, vos problèmes ?
— Oh, ça fait trente ans. Vous voyez le jardin ? Tout en bas, il y avait un ruisseau qui servait de limite de propriété entre le lotissement et les trois parcelles au bord du canal. C’est une zone en expansion de crue, interdite de construction. En 1995 et en 2003, il y a eu de grosses inondations ici. Ouistreham, cinq kilomètres plus haut, était à moitié sous l’eau. Eh ben, ça n’a pas empêché les propriétaires des parcelles d’aménager leur terrain à leur guise. Regardez : à droite, ma voisine a fait creuser un étang de 1300 m2 et planté des dizaines d’arbres. À gauche, mon voisin s’est construit un manège à chevaux, des serres, une cabane, tout ça sans aucune autorisation, lui non plus. Et avec le reste de terre et de gravats, ils ont tous les deux remblayé le ruisseau.
— Ils l’ont bouché ?
— Ben oui, complètement. L’eau ne s’écoule plus depuis plusieurs années ! »
On sort dans le jardin pentu que Jacqueline entretient de son mieux. Il y a une dépendance, quelques plantations et des jeux pour ses six petits-enfants. Tout en bas, elle me montre l’objet du délit. De l’ancien ruisseau, il ne reste plus qu’une large bande d’eau stagnante, envahie par les ronces. Sur l’autre rive, j’aperçois un sac de ciment vide, un bloc de parpaing...
« Ça fait huit ans que je me bats contre mes voisins et contre l’administration. J’ai engagé plusieurs procédures judiciaires pour faire respecter le plan d’urbanisme : j’en
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