Des camions à son effigie, des militants partout, champion des réseaux sociaux… Damien Rieu, de Génération identitaire, avait partie gagnée, presque d’avance, dans le canton de Péronne (80).
Y avait quoi, en face ?
Presque plus rien debout. Mais Picardie debout !, justement, est arrivé. Pour remettre du baume au cœur. Et même fabriquer un tract de droite…
La bataille de Péronne
20 mars, Amiens. Sous la pile
« Le canton de Péronne suscite les convoitises. Damien Rieu, de son vrai nom Damien Lefèvre, se lance pour la première fois dans une campagne électorale. Originaire de Lyon, cet attaché parlementaire de 31 ans a milité dans des groupes activistes d’extrême‑droite comme Génération identitaire, il est un habitué des réseaux sociaux où il n’a pas peur d’y dénoncer “l’islamisation de la société”, le “racisme anti‑Blancs”, tout comme il sait se servir de l’outil numérique pour lever des fonds pour s’opposer à la construction d’une mosquée à Abbeville. »
J’avais entendu des bruits, déjà, mais Le Courrier picard vient les confirmer. Et dans ma tête, ça sonne l’alerte. Pourquoi ? Je ne veux pas, dans la Somme, d’une contagion du Rassemblement National par le Nord. Dans le Pas‑de‑Calais, au‑dessus, le RN a gagné bastion après bastion, des cantons, des circonscriptions, Hénin‑Baumont. Il s’est enkysté, inscrit dans le paysage, populaire, majoritaire, comme une évidence désormais. Chez nous aussi, les esprits sont conquis. Mais jusqu’ici, le parti des Le Pen ne s’est pas vraiment implanté, pas organisé, sans figure phare. Siéger au Conseil départemental, comme ambition, je doute que ça suffise à Damien Rieu, lui qui agite déjà les réseaux sociaux, twittos de référence dans la fachosphère. L’année prochaine, on le retrouvera aux législatives, à l’Assemblée, légitimé pour répandre son charabia à la tribune et dans les médias. C’est dès maintenant qu’il faudrait l’endiguer.
Je regarde les scores de la dernière fois. En 2015, la liste FN a perdu au second tour contre la droite, 49,08 % contre 50,92 %. À deux cents voix près…
Je préviens l’équipe, mais que faire ? C’est à l’autre bout du département, dans le Santerre, le coin de mon père, la plaine à betteraves, la tristesse. Surtout, on a du boulot ailleurs. à peine évoqué, le dossier repasse sous la pile.
18 avril, Péronne. Le camping des migrants
« L’annonce de l’arrivée de migrants au camping de Péronne dans les prochains jours a engendré un incident devant l’entrée de l’établissement. Damien Rieu, candidat (RN) dans le canton, est venu afin de tourner des images devant l’entrée des lieux, dans le cadre d’une vidéo qu’il prépare pour ses réseaux sociaux.
Dans le camping du Brochet, un homme bricolait pour finir de préparer un des mobil‑homes qui vont accueillir les familles de Géorgiens d’ici quelques jours. Il a aperçu le couple qui filmait. Il est sorti pour demander des explications. Voyant qu’il était filmé, il a demandé que la caméra soit arrêtée, évoquant le respect de son droit à l’image, qui plus est sur un domaine privé. Ce qui n’a pas été fait. Il est monté dans sa voiture et il a fait “une manœuvre un peu brusque”, a‑t‑il expliqué aux gendarmes. Le ton est fortement monté, et les gendarmes sont rapidement intervenus, devant même se mettre entre les deux hommes qui se rapprochaient. Damien Rieu qualifie cette manœuvre de “tentative d’homicide. Il a tenté de foncer sur nous”. Ce que dément catégoriquement l’automobiliste. Un terme également rejeté par les militaires. » (Courrier picard.)
Evidemment, j’admire le savoir‑faire.
La Préfecture a décidé, remarquable timing, d’installer des familles de migrants au camping. Et Damien Rieu surf cette histoire avec talent : pétition en ligne, vidéo sur place, incident, puis plainte, donc trois papiers dans la presse… Et enfin, le tract, tout en délicatesse...
Après ça, je mets un SMS à Valérie Kumm, la candidate socialiste (y a que ça, ni communiste, ni insoumis) :
« Bonjour, Madame Kumm.
Pour vous dire que je suis prêt à filer un coup de main face à Damien Rieu.
Cordialement,
François. »
On s’appelle dans la foulée : elle est déprimée. Partout, elle a l’impression, ça parle des migrants, et du tract, et de Rieu. Comment faire face à ce rouleau compresseur ? Elle ne voit pas. Faut se bagarrer, je lui dis, faut pas lâcher – même si ça reste des mots en l’air… Je ne méprise pas l’adversaire, au contraire. Je m’identifie un peu à Damien Rieu : il a, je le devine, dans sa campagne, la même envie, la même gniaque, que j’avais pour la mienne. Il réveille des énergies, je crains. Et les événements jouent pour lui, le camping, un meurtre à Péronne par‑dessus, qui font écho au climat national.
Raison de plus pour l’affronter.
Lundi 3 mai, Roisel. Mines de défaites
« Qu’est‑ce que vous prévoyez comme riposte ? »
J’aime bien, bizarrement, ces ambiances : la mairie, au fin fond de la cambrousse. Le plancher qui date et qui grince. Les lustres façon salle de bal. Autour de la table, on est quoi ? Une dizaine. Mais étaient‑ils plus nombreux dans les premières communautés chrétiennes ? Sans doute pas, sauf qu’ils étaient habités par la foi. Les candidats, eux, leurs suppléants, ont des mines défaites, des mines de défaites, déjà. J’aime bien leurs têtes, à Christophe Boulogne, à Michel son père, leurs premiers mots : « On va se bagarrer, hein, min t’cho ? »
Avec Guillaume, notre tête de pont dans le coin, un super‑meneur, on explore les pistes.
« Bien sûr, on pourrait faire un meeting, ou une manif, avec des intellectuels, des politiques… Mais à mon avis, c’est contre‑productif : ça nous donne le beau rôle, mais les gens du coin, est‑ce qu’ils ont envie que les Parisiens viennent leur faire la morale ? Ou est‑ce qu’ils veulent que des antifas crient “No pasarán” dans les rues ?
— Non, non, tu as raison. On a déjà vu ça,
c’est sans effet.
— Je vois un truc : nous, avec Picardie debout !, on fait un quatre pages… On fait le sale boulot, on démonte Rieu, sans faire la leçon, non, mais avec de l’info. On dresse le portrait de Génération identitaire, les “milices privées”, la dissolution par le Conseil d’état, les sympathies néonazies… Surtout, on demande : “Qui c’est votre adversaire ? Qui a fermé Flodor ? Les étrangers ?”
— Et pas que Flodor !, me reprend Christophe. Y avait Mohair, y avait Descamps, y avait Mobidécor, et avant ça Cassegrain…
— Voilà. Il faudra la liste, les photos des ruines, le nombre d’emplois. Et à chaque fois, “c’est la faute des immigrés, ça ?” Non, aux PDG, bien de chez nous.
— On a aussi perdu des services publics : le tribunal, la DDE, le centre médico‑social… L’hôpital, en revanche, on l’a sauvé.
— Pareil : “C’est la faute à qui ? Aux immigrés ? Ou à Paris ?” Bref, on dresse ce tableau, et après, on met que tout ça, Rieu n’en parle jamais. Sur les hôpitaux, rien, pas un mot. Sur l’éducation, rien. Sur le travail, rien. Les soucis des gens, il les ignore, il ramène tout aux musulmans. Et surtout, ces boîtes, il ne les connaît pas, même pas de nom ! C’est un parachuté.
— Voilà, si vous pouviez le démasquer.
— Et ça sera d’autant plus fort qu’on ne donnera aucune consigne de vote, ni pour vous ni pour un autre. »
C’est une illusion : je crois au papier.
Au papier qu’on écrit, au papier qu’on distribue, au papier qui convainc.
Mais il est des illusions qui motivent, qui deviennent motrices : au moins, on sait quoi faire. Même si, au fond, je n’y crois pas, qu’importe, il faut le faire d’abord… Et on le sent, des cendres, on a ranimé un peu d’espoir : avec leurs camarades, ils vont remonter au front.
Samedi 15 mai, Péronne. Parachute et racines
Y a des gendarmes partout, ce samedi matin, au marché de Péronne, plus de militaires que de chalands.
On est là, nous aussi, pour distribuer notre quatre pages : « + 55 % pour les milliardaires – Ne pas se tromper d’adversaire ! » On venait sans ramdam, pourtant, sans appel sur les réseaux sociaux, sans les caméras et les micros. Je ne veux pas de clash avec Rieu : ça me ferait de la mousse, la cause est noble, mais il s’en flatterait partout, et au final ça servirait sa publicité. Mieux vaut, je crois, une action discrète, quasi‑clandestine.
Sauf que notre venue a filtré.
Rieu s’est moqué de nous sur ses réseaux :
@DamienRieu
Passe donc boire un verre à la maison @Francois_Ruffin ! On débattra de ton soutien à Macron :-)
7:09 PM · 14 mai 2021
Il nous provoque, qu’importe. J’ai demandé qu’on ne réplique pas, qu’on le laisse faire joujou tout seul sur Twitter : c’est son bac à sable, que pas grand‑monde ne consulte dans le coin.
à mes côtés, Vincent, Isabelle, Dimitri, Ludo, Camille, Charlotte… Sont aussi là Angelo, ancien délégué CGT chez Flodor, un papy qui boite, à cause de la polio chopée petit, dans son village d’Espagne avec de l’eau pourrie. Et Guillaume, un copain syndicaliste, qui habite le Santerre. Seule absente, Magali, aide‑soignante à l’hôpital, et qui bosse ce matin. à quatre, on a cosigné le tract. L’important, pour moi, c’est que ça fasse ancré, picardo‑centré, gens de chez nous, gens comme nous – contre le zozo qui débarque avec ses grandes idées.
Dans les échanges, à l’entrée du marché, entre les selfies avec les petites filles et les mamies, c’est l’argument qui porte le plus, j’ai le sentiment : « C’est un parachuté… qui vient prôner les racines. Alors qu’il ne connaît rien aux betteraves ni aux patates ! Alors qu’il ne connaît même pas la longue paume ou la Grosse Bertha ! » ça m’amuse, de retourner l’« enracinement » contre Rieu…
@DamienRieu
Merci à @Francois_Ruffin d’avoir fait 3h de voiture pour manifester à 12 contre moi et le RN, sous la pluie, à Péronne.
12 :31 PM 15 mai 2021
Le lendemain, Rieu croise une copine, les tracts sous le bras, et il en perd son sens de l’humour : « Je vais vous poursuivre pour diffamation ! » Si ça l’agace, c’est déjà ça.
Mais surtout, notre visite a regonflé la gauche du coin, une vingtaine de militants, qui font le tour des villages, qui reprennent les boîtages. On se redresse. On mène un peu la lutte.
Samedi 5 juin, Péronne. Le raz‑de‑marée
« Excuse‑moi de te déranger, François, mais là je ne sais plus comment faire. » C’est Valérie, au téléphone, catastrophée. « Ils sont partout. Ils ont loué des camions, ils font le tour de Péronne avec les têtes de Rieu et de Marine Le Pen, ils ont posé des camionnettes sur les ronds‑points, ils sont devant l’Intermarché, devant le Lidl… C’est le raz‑de‑marée.
— Ah oui. Il a dû ramener des copains à lui, des jeunes identitaires de Paris.
— On est noyés, là. Il faut encore que tu nous aides. »
Je n’ai pas de baguette magique, je songe.
Et en même temps, il faut parfois faire comme si.
« Samedi prochain, je fais mon Cantonal’Tour, je pourrais commencer par Péronne. Et je viendrai avec une dizaine de collègues, on essaie de faire pareil : des voitures avec vos photos sur tous les ronds‑points, des tractages devant les supermarchés…
— Ah ça serait super, ça serait super.
— Mais surtout, ne vous découragez pas, hein. Continuez de labourer le terrain, y a que ça de vrai, le terrain ne ment pas… »
Samedi 12 juin, Péronne. Le clash de l’éléphant
On a appris, hier vendredi, que Dupont‑Moretti serait de passage à Péronne, au marché lui aussi.
« Tu veux annuler ta venue ? m’ont demandé les camarades.
— Surtout pas, pourquoi ? »
C’est une belle connerie, qu’il fait là, je trouve, le ministre. On essaie, nous, de faire de la dentelle, en sous‑main. Lui va rentrer là‑dedans comme un éléphant, je devine, aller au conflit, et assurer la promo de Damien Rieu, qui deviendra l’opposant n°1 au gouvernement. Et du coup, tous ceux qui détestent Macron vont voter pour lui !
Ça n’a pas manqué.
Juste avant, un conseiller du ministre
m’a joint : « Je vous préviens, le ministre arrive d’ici quelques minutes ». Il s’attendait à quoi ? À un accueil républicain ? Qu’on fasse front ensemble contre le Front ? En bonne entente le temps d’un combat commun ? Tout sauf ça. Qu’on donne le moindre signe de sympathie à la macronie, et on est cuits ! Le RN apparaîtra comme le seul rempart. Au contraire, l’opposition, il faut l’incarner par une altercation.
À l’entrée du marché, Vincent passe la première lame et notre tract :
« C’est quoi ça, ‘‘Picardie debout !’’ ? l’interroge le garde des Sceaux.
— Eh bien, par ici, on a connu plein de délocalisations, les usines ont fui…
— Ah oui, vous devriez lire notre programme, on a plein de choses là‑dessus…
— Mais je le connais par cœur, votre programme ! Depuis que je suis né, je le subis !
— Ne soyez pas désobligeant, Monsieur.
— Je ne suis pas désobligeant. C’est votre politique qui est désobligeante ! »
Derrière, deuxième lame, j’interpelle Agnès Pannier‑Runacher, la ministre de l’Industrie : « C’est pas ici qu’on aimerait vous voir, c’est sur le parking des Whirlpool ! Sur 286 emplois, il en reste trois ! Trois ! Et c’est là‑bas que le président avait promis de revenir… Y a 50 000 emplois industriels de détruits, et à la place de bosser, vous venez faire les kékés pour prendre une taule aux élections »
Dupont‑Moretti s’interpose, avec sa grosse bedaine : « On n’est pas chez Chavez », il argumente, brillante analyse, et je dois « arrêter mon cirque », des trucs comme ça. Avant de filer : le débat est plus aisé à l’Assemblée, avec la claque automatique des Marcheurs…
Mais juste après, le scénario en est convenu : à la terrasse d’un café, le ministre va se frotter à Damien Rieu. Qui envoie balader « l’avocat de Mohamed Merah », avec sa « Rolex », etc. Résultat : en une journée, le gars fait plus de dix mille retweets, et deux millions de vues sur Facebook.
Y a deux options, j’ai réfléchi : c’est par bêtise, par arrogance, que Dupont‑Moretti va se jeter dans la gueule du loup, et assurer une maxi‑pub gratuite ? Ou bien est‑ce par calcul, on se fait mousser en faisant mousser le RN, on joue à deux à la courte échelle – le petit jeu d’Emmanuel Macron depuis trois ans maintenant ?
Après cet épisode, je vois mal comment Rieu ne triompherait pas…
Dimanche 20 juin. Préfecture d’Amiens. Y a match
C’est pas pire.
Rieu arrive en tête, quand même, avec 31,55% des voix. Mais c’est dix points de moins qu’en 2015, 42,42%.
Et en deuxième, Valérie et Christophe, à 22%.
Rien de glorieux : le RN domine toujours, et surtout, deux électeurs sur trois ne se sont pas déplacés. Mais au moins, il y a match. Le canton n’est pas ouvert comme un boulevard, sans résistance, sans opposant.
Mardi 22 juin, Paris. Tract canular
Valérie est aux abois, à nouveau : Damien Rieu distribue un tract, aux couleurs tricolores, avec l’en‑tête « République française », la devise « Liberté égalité fraternité », très officiel, et titré « Appel aux électeurs de droite ». Contre « le binôme de l’extrême gauche Kumm – Boulogne de la France insoumise », contre « les candidats de Mélenchon », contre « la gauche communiste », qui mèneront à la « catastrophe économique », à « encore plus d’immigration », à des « compromissions avec l’islamisme », etc., « choisissons les deux jeunes candidats de droite, gaullistes, républicains ».
Entre deux séances à l’Assemblée, j’appelle la candidate :
« Ils attaquent mon bilan comme ancienne maire, déplore Valérie, la route à paillettes… Je suis au quatrième dessous.
— Mais tant mieux ! je la rassure. C’est qu’ils paniquent ! Ne t’en fais pas avec ça ! Il faut mener la bagarre, maintenant. Ne pas flancher ! »
Bref, je la galvanise, je m’y efforce.
à plusieurs moments, j’ai ressenti cela : que Christophe et Valérie étaient d’honnêtes gens, mais habitués à mener la lutte électorale comme il faut, un peu entre collègues, sinon entre notables. Et qui n’étaient pas prêts pour une bataille plus ardente, un peu plus free fight.
« Si tu veux, nous, on va faire un tract avec tous les mecs de droite qui vous soutiennent, ou qui disent : “Il ne faut pas du RN”. Ça vous dit ?
— Oh oui ! »
J’appelle Dimitri : « On va faire un tract de droite, tu vois, fond bleu, tout paisible, et tu mets les tronches du sénateur, du candidat LR battu… Avec leurs citations, les vraies, comme quoi ils invitent à vaincre Rieu. »
Ça le fait marrer, notre metteur en page, c’est presque un canular.
Moi aussi : il faut inventer des machins, dans une élection, être malin, sinon à quoi bon ?
Jeudi 24 juin, Péronne. Le fuyard
C’est un repos bien mérité, pour Danièle, Ludo, Patrick, Guillaume, Dimitri, les camarades de Picardie debout !, qui m’accompagnent sur tous les coups, dans tous les combats. Même là, même pour aller differ, à Péronne, un tract de droite, et pour faire élire des socialistes ! Alors, leur bière à la terrasse du Lillois, ils ne l’ont pas volée.
Mais voilà qu’un gugusse les filme, avec son portable.
Les interroge de loin : « C’est vous qui distribuez ce document ?
— Oui », ils répondent sincèrement.
Mais c’est qui, lui ?
C’est… c’est Damien Rieu !
Ludo se lève, à peine, et l’autre part en courant ! Les jambes à son cou !
J’écris ces lignes le dimanche 27 juin à 17 h 25. Les bureaux de vote vont fermer dans une demi‑heure. J’ignore quels seront les résultats. Mais je veux retenir cette scène, symbolique, quand même : en début de campagne, c’était la gauche qui se terrait, qui courbait l’échine, tandis que le RN et son candidat paradaient, faisaient une démonstration de force. Et aujourd’hui, c’est lui qui fuit.
On attend le verdict des urnes, bien sûr.
Mais c’est une victoire qui est déjà remportée : contre nos propres peurs, contre nos renoncements, contre notre résignation.
Dimanche 27 juin, Roisel. Billet retour
Nous voilà de retour à la mairie de Roisel, son parquet grinçant, ses lustres.
Sauf que, cette fois, nous ne sommes plus dix, mais cent.
Sauf que les mines défaites sont remplacées par des sourires de victoire.
54 % à la gauche, 46 % pour Rieu.
C’est pas forcément glorieux, le RN avec presque un votant sur deux. Et une conquête avec un électeur sur six. Mais il faut voir d’où l’on partait, il faut voir le terrain remonté…
« Je lui ai acheté un billet de train. » Guillaume sort une enveloppe SNCF. « C’’est un billet TGV pour Lyon‑Part‑Dieu, depuis la gare aux betteraves. Départ 6 h 08 demain matin… Ça m’a coûté 98€ quand même ! »
Les gens se marrent.
Je regarde leurs bouilles, rieuses.
C’est sur eux, sur elles, que repose la suite de l’histoire. Pour qu’aujourd’hui soit un départ, et pas une arrivée. Pour qu’on ramène de l’espoir, dans le Santerre et ailleurs…
Socialistes, quand même…
« Flodor, Mohair, Descamps, Mobidécor… Nous réclamons du protectionnisme. Les salariés français doivent se protéger, mais contre qui ? Contre les actionnaires français, européens, américains, qui vont chercher des salaires moins élevés à l’autre bout du continent (Pologne, Roumanie…) ou du monde (Inde, Chine…). C’est une “folie” qu’il faut arrêter. »
En écrivant ces lignes, pour notre tract, j’avais un scrupule : à cause de qui, c’était, ces dégâts ? À cause, pas seulement mais entre autres, à cause des socialistes. Eux qui, depuis quarante ans, ont accepté l’Acte Unique, le traité de Maastricht, les accords du Gatt, les rounds de l’OMC, etc. Eux qui, alors que le peuple répondait « non », en 2005, non à la « concurrence libre et non faussée », non à la « libre circulation des capitaux et des marchandises », eux qui sont passés outre, à Lisbonne. Et on n’en serait pas là, à Péronne et ailleurs, on n’en serait pas avec le RN comme premier vote ouvrier, on n’en serait pas là si le Parti Socialiste n’avait pas trahi. Bien des fois j’ai songé à ça, alors que je filais le coup de main à Christophe et Valérie - qui ne sont, bien sûr, ni Jacques Delors ni Pascal Lamy, qui incarnent un PS plus populaire, m’enfin, justement, qui servent de base et de caution aux éléphants d’en haut. Eux qui les écrasent.
Je me souvenais alors du Jaurès en campagne, dans son Sud-Ouest, parcourant des lieues, de ferme en ferme, évitant les flaques d’eau, glissant sur un talus, pour gagner une à une les voix des paysans de Pampelonne, de Monestiès, de Valderiès. Lorsque, sur ces chemins, il était « assailli, matériellement assailli, non pas par les huées, mais par les bâtons, par les pierres, par les embuscades », lorsqu’il était guetté « par les gens du château, par les gens du presbytère, et que près de tomber dans le guet-apens » il était arraché au danger « par les radicaux, petits médecins de villages, petits propriétaires paysans, démocrates qui mènent à leur manière, en dehors de toute formule, une instinctive lutte de classe ».
Alors c’est avec eux aussi qu’il faut reconquérir les cœurs, à Péronne et ailleurs.