Au gré des rencontres, aux quatre coins de France, petites initiatives et grandes idées de nos maires, de celles qui changent la vie des gens.
Mon maire, ce héros : la peste des pesticides
Daniel Cueff, docteur en science de l’éducation, maire de Langouët (Ille-et-Vilaine) de 1999 à 2021, 617 habitants.
QUOI ?
« Lorsque j’étais encore maire, j’ai décidé de lutter contre l’épandage de pesticides à proximité de zones d’habitation. En 2016, j’ai pris un premier arrêté interdisant les pesticides tueurs d’abeilles dans un rayon de trois kilomètres autour des ruches. Sur le moment, personne ne s’est plaint… »
POURQUOI ?
« Toutes les études le disent : les pesticides de synthèse sont un danger pour la biodiversité comme pour l’être humain. Face à cela, que fait l’État ? Rien. Au mépris du droit européen : le règlement "pesticides" européen, qui exige la protection des habitants et de l’environnement, devrait être appliqué dans notre pays depuis 2009 ! C’est un énorme problème de santé publique. »
COMMENT ?
« En 2018, j’ai ciblé l’agriculture dite "conventionnelle". Des enfants de la commune avaient des taux de glyphosate anormalement élevés dans leurs urines… Le 18 mai 2018, j’ai profité d’un carnaval populaire organisé contre Monsanto pour prendre un arrêté interdisant l’usage des pesticides de synthèse à moins de 150 mètres des habitations. La préfecture, avec la bénédiction de la FNSEA, m’a aussitôt envoyé une injonction à retirer l’arrêté. Mais l’affaire a eu rapidement un écho national : des tas d’associations se sont mobilisées, les pétitions en ligne se sont multipliées, j’ai reçu des dizaines et des dizaines de lettres de soutien. Le jour du procès s’est déroulé dans une ambiance de fête, avec des concerts et manifestations face au tribunal administratif de Rennes… »
LES ÉTAPES
18 mai 2019 : Daniel Cueff prend l’arrêté interdisant l’usage des pesticides de synthèse à moins de 150 m des habitations de sa commune.
Octobre 2019 : le tribunal administratif de Rennes annule l’arrêté, jugeant que la décision ne relève pas de la compétence du maire.
Janvier 2020 : Daniel Cueff fait appel de l’annulation de son arrêté. La décision de la cour d’appel confirme quelques jours plus tard celle prise en première instance.
UN TÉMOIN
Nicole Duperron : « J’habite depuis plus de quarante ans à Langouet. Le terrain de ma maison est cerné par un immense champ de maïs. Des parties entières de pelouse brûlaient lorsque l’exploitant traitait son champ. Une fois, la cour de ma maison a été inondée. Toute la haie qui encadrait la cour a rendu l’âme. Et puis, l’agriculteur qui tenait l’exploitation me disait de ramasser mes animaux lorsqu’il traitait ses champs. Moi je lui répondais que j’avais aussi deux enfants, quand même… »
LA PHRASE
« En tant que maire, tant que je me contente de faire du logement social écologique ou que je sers du bio à la cantine, les services de l’État et le préfet sont les premiers à me dire que je fais un travail formidable. Mais dès que vous commencez à mettre l’accent sur des intérêts supérieurs – en l’occurrence, ici, ceux de l’agro‑business – on vous fait comprendre qu’il y a une limite à ne surtout pas franchir… »
LE BILAN
« Mais même si l’arrêté a définitivement été annulé, mon action aura quand même permis de faire comprendre à pas mal de gens que les pesticides ne sont pas tout à fait des vitamines ! Elle a eu aussi un effet boule de neige que je n’avais pas du tout anticipé : plusieurs dizaines de communes ont pris des arrêtés similaires au mien, dont Paris et Lille, et le collectif des maires anti‑pesticides regroupent aujourd’hui 120 communes. Et puis, il y a eu l’arrêté d’État de 2019 sur l’utilisation des produits phytopharmaceutiques. Gros bémol quand même : la distance limite entre les zones d’épandage et les habitations a été réduite à 10 mètres… Très loin, des 150 mètres de sécurité que je recommande. »