n° 103  

La révolution par les boules

Par Dimitri Bourrié |

« On est là pour se faire plaisir ! »


Amiens (80), le 13 mai

Il a tout compris Joël. C’est qu’on l’apprécie, cette pause déjeuner au parc Saint-Pierre, quand on est collab d’un député hyperactif  : une heure, presque, pour avaler un sandwich au soleil. Pour la première fois de l’année, on a même le temps de faire une pétanque ! Robin, le Sudiste de l’équipe, a ramené ses boules. On avait prévu notre coup depuis une semaine au moins…
Mais là qu’est-ce qu’il m’annonce  ? « J’ai pas de cochonnet… »
Heureusement, Joël, donc, est là. Soixante-dix ans, je dirais, pantalon court, chemise blanche immaculée sans manches.
Et il nous en prête un, de cochonnet. Alors, forcément, on s’y attendait, il se tape aussi l’incruste, grand seigneur  : « Vous avez qu’à faire une partie en 7, et je prends le gagnant. » On n’allait pas le rabrouer, quand même. Alors on cause :
« Qu’est-ce que vous faites, vous, les jeunes  ?
— On bosse pour le député Ruffin, vous connaissez  ?
— Ah bah oui, il est connu dans le coin. La politique, c’est quelque chose…
— Vous en pensez quoi vous, de la politique  ?
— Il faudrait plus de sécurité à mon avis. Et que les jeunes soient remis dans le droit chemin. Dans le quartier là-haut, 80 % des gens vivent de la drogue ou sont assistés, c’est pas normal. Et il faudrait de la sécurité dans le boulot aussi.
— Et vous vous faites quoi  ?
— Moi je suis touriste. J’ai arrêté de bosser, j’étais militaire. Il faudrait remettre le service militaire. Ça donne une éducation. »

En deux minutes, on est déjà arrivés au service militaire pour rééduquer les jeunes assistés. Ça va être long cette partie… Alors on tente un carreau :
« Et les grands patrons, on devrait pas les éduquer aussi ? à payer leurs impôts en France par exemple.
— Ah mais si, mais ils trouveront toujours un moyen eux. Depuis toujours ils font ce qu’ils veulent. Regardez Louis XIV, Louis XVI…
— Ça a plutôt mal fini pour lui.
— Ah ça oui, mais ça peut recommencer… »

Retournement de situation dans les arrêts de jeu, on dirait. Comme sur le terrain, où j’ai battu Joël 7-6, alors que c’était mal barré.
Il faudra revenir pour en reparler de tout ça avec Joël et ses potes, et tous les Joël de la Terre. Y a du boulot, pour que les petits décident de tourner leur colère vers les gros. Mais peut-être que la pétanque ça peut aider, qui sait  ?