Quels liens entre notre caddie et leurs profits ?
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Le Capital raconté par... ma galette des rois

Qui sont les rois de la galette ?
Pour quelque 30 000 artisans boulangers en France, janvier est un mois crucial : ils y réalisent jusqu’à 10 % de leur chiffre d’affaires annuel avec la galette à fève. Avec un souci cette année : la hausse des matières premières, qui réduit considérablement leur marge. Mais il est un phénomène plus insidieux que la grimpée des prix : l’emprise de la boulangerie industrielle. Depuis quelques années, des marques aux noms qui fleurent l’authentique, comme Marie‑Blachère ou La Panetière, étendent leurs parts de marché. Mais ce ne sont là que de simples roitelets face à la toute‑puissance de la famille Vandemoortele, qui règne presque sans partage sur la distribution du gâteau.
C’est le numéro 1 de la galette des rois industrielle ou surgelée, celle que vous trouvez à 2,19 euros chez Lidl sous la marque « Maître Jean‑Pierre », ou à 6,95 euros chez Carrefour. Le consortium belge est un géant du secteur depuis qu’il a absorbé ses concurrents Pain Pérènes, Colombus Food Belgium, et Panavi France. Et il ne cesse d’étendre son empire en Europe, poursuivant ses rachats d’entreprises, comme récemment en Italie et au Pays‑Bas. Le groupe a réalisé 1 milliard de chiffres d’affaires en 2020. De quoi mettre un peu de frangipane dans les épinards.
Que font les valets des rois ?
En France, la production est principalement située en Ille‑et‑Vilaine, à Torcé, en Bretagne – toujours pour le groupe Vandemoortele. Francis Bon, directeur de la division Bakery products France, explique que dès juillet une trentaine de salariés sont mobilisés sur les chaînes d’assemblage des galettes, avec une montée en puissance progressive « jusqu’à atteindre un effectif de 400 à l’approche de l’épiphanie ». Des contrats courts, donc, mais au royaume de la précarité, les bénéficiaires de contrats d’intérim ne sont‑ils pas rois ? Leur appel à candidatures pour un poste de « Conduite machine pétrin » à Torcé donne une idée de la besogne des roturiers afin qu’on puisse tirer les rois : « alimenter une machine en matières premières, charger des palettes de rognures (port de charges de 25 kilos à prévoir), réaliser les réglages de la machine, travail en 4x8 (soit 2 weeks‑end sur 4) pour 1642 euros brut + 16,66/mois de prime de transport et 25 euros/mois de prime habillage. » Grâce à ce genre d’exploitation, nous pouvons nous poser une couronne en carton doré sur la tête.
Le principal concurrent du belge Vandemoortele en France vient lui aussi de Bretagne : Les Moulins de Saint‑Armel, une entreprise basée à Cléguérec dans le Morbihan, spécialisée dans la confection de galettes des rois en gros volume. C’est le fournisseur exclusif des enseignes Intermarché et Netto. Sur le site des Mousquetaires on apprend que cet autre poids lourd du secteur croule sous les labels et certifications diverses, tels que le RSPO pour l’utilisation d’une huile de palme durable. Voilà ce qu’on appelle un oxymore…
Les dindons de la frangipane.
Il faut trois jours pour préparer une galette des rois dans les règles de l’art. Entre chaque manipulation (pétrissage, feuilletage, fourrage) doivent s’intercaler des temps de repos de la pâte, selon Alain Bouchard, d’Apt, un boulanger pâtissier régulièrement primé pour la qualité de ses brioches et galettes. Mais Antoine de Saint‑Cyr, le directeur du site Vandemoortele de Torcé, n’a pas tout à fait la même vision du métier. Entre août et décembre ce sont, chaque année, 18 millions de galettes qui sont fabriquées dans ses usines. 500 semi‑remorques de matières premières devront y être acheminées, pour produire environ 10 000 tonnes d’étouffe‑chrétien. Et la récente envolée du prix des matières premières n’améliore pas les choses : + 25 % pour les amandes et le blé ces deux derniers mois, + 30 % pour la poudre de lait écrémé et le beurre entre septembre et décembre 2021, selon Les Échos. Sans compter la hausse du coût de l’électricité. Alors, à Torcé, on fabrique désormais des galettes avec un beurre de moins bonne qualité importé de Chine. Ailleurs, ici et là, on ajoute au gâteau des carraghénanes, des extraits d’algue rouge qui lestent de flotte les aliments, mais présentent l’inconvénient – négligeable – d’être cancérigènes.
Et fin du fin, le grammage de la poudre d’amandes a été aussi réduit. Les galettes bas de gamme vendues chez Carrefour n’en contiennent plus que 0,14 % et sont « parfumées » par de l’arôme d’amande « en forçant sur le sucre pour que ça passe », selon Didier Gourreau, un des meilleurs artisans boulangers dans ce domaine. Ce qui n’est peut‑être pas plus mal… Car l’amande est cultivée surtout en Californie, au prix d’un désastre écologique. Sur des centaines d’hectares, des dizaines de milliers d’amandiers sont arrosés avec l’eau de rivières maintenant asséchées, poussant les producteurs à se rabattre sur des nappes phréatiques qui ont mis des millions d’années à se constituer. Du coup, l’amande devient plus chère chaque année, jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus être cultivée dans ces régions. Ce qui résoudra peut‑être à terme, finalement, les problèmes liés à la consommation de galettes de rois…