Quels liens entre notre caddie et leurs profits ?
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Les petits objets du marché de proximité racontent les grands marchés mondialisés.
Fakir remonte la filière de la production et de l’exploitation.
Le Capital raconté par... mes graines à semer
Graines de star
Les petites graines, les tomates qui poussent dans le potager, le maïs dans le champ du voisin… Derrière tout ça ? Bayer-Monsanto, Syngeta, DuPont sont quasi en position de monopole et détiennent 60 % des parts du marché mondial de la semence. S’y ébattent des employés comme les « techniciens expérimentation-melon » qui « notent et collectent les données aux champs pour les systèmes d’information », avant de développer des cultures à grande échelle. On y croise aussi des « obtenteurs » qui réalisent les toutes premières générations de graines, puis les « multiplicateurs » permettant de maximiser le volume des semences.
Ainsi, chaque année, ce sont des dizaines de milliers d’agriculteurs, sous contrat avec ces groupes, qui sèment dans leurs champs des graines aux caractéristiques génétiques nouvelles, transformant les écosystèmes en labos à ciel ouvert, via l’inévitable dissémination de plants expérimentaux. Une fois récoltées, ces graines sont examinées, analysées, conditionnées dans des « stations de semences ». Là, les opérateurs en ligne utilisent toute une batterie de machines pour les traiter avant commercialisation : le pré-nettoyeur, l’ébarbeur, le trieur alvéolaire, le calibreur, la table densimétrique, le trieur optique… Un vrai conte de fées. C’est moins vrai pour les employés : chez Bayer (45 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2020), le technicien de production touche royalement 1269 euros par mois. Heureusement, son employeur « investit dans le bien-être des salariés au volant de chariots en leur donnant de petits coussins », comme dans son usine de Marle, dans l’Aisne. La preuve d’une approche humaniste du métier de cariste…
Graines de chimiste
Huit semences sur dix, peu ou prou, qui sortent de ces entreprises sont des hybrides : les graines qui se trouveront dans ces fruits et légumes, une fois arrivées à maturité, seront peu voire plus du tout fertiles. Impossible de les replanter pour obtenir une nouvelle récolte, comme l’on appris à leurs dépens les paysans sud-américains. Leur seul atout, du coup ? Leur rendement, au détriment du reste. Leur qualité nutritionnelle, croissance accélérée oblige, est médiocre. Leur teneur en eau plus grande, leur concentration en molécules complexes et sucres lents, plus faibles. Selon l’étude canadienne Still no free lunch, une pomme des années 1950 comportait cent fois plus de vitamines que les variétés commercialisées actuellement. Sans compter que la quête de rentabilité des semenciers via l’homogénéisation des variétés participe à l’érosion de la biodiversité en rendant les cultures vulnérables : 75 % de la diversité alimentaire mondiale aurait disparu en cinquante ans, selon la F.A.O. On ajoutera qu’au moins 80 % des terres arables sont cultivées avec des graines entourées de plusieurs couches de produits chimiques : anti insectes, anti oiseaux, activateurs de croissance... Des traitements « systémiques » qui imprégneront la plante tout au long des étapes de sa croissance. La plupart des agriculteurs n’ont d’ailleurs qu’une vague idée des substances appliquées sur les semences qu’ils utilisent, entre insecticides, anti-limaces ou fongicides.
En outre, la majeure partie des graines vendues sont rendues tolérantes aux herbicides. Le calcul pour les industriels de la semence est limpide : vendre d’abord les graines, puis les saletés chimiques qui favoriseront leur croissance. C’est ainsi que Bayer propose aux agriculteurs de fixer un calendrier pour les épandages « dans le cadre d’une stratégie de désherbage maïs en plusieurs étapes » : arrosage avec de « l’Adengo-Xtra, solution herbicide dès la pré-levée », puis pulvérisation de « Capreno »... Parmi tous ces « traitements », les néonicotinoïdes (dont l’utilisation a été prolongée par le gouvernement) se distinguent par leur haut niveau de toxicité. Selon une étude parue dans la revue Environmental Science and Pollution Research, ces substances seraient à l’origine de l’effondrement des populations d’abeilles, mais également d’oiseaux (quelques graines ingérées provoqueraient la mort des volatiles en quelques heures). Cette bombe chimique causerait aussi des malformations de la mâchoire des cerfs, des défaillances immunitaires chez les rongeurs… Et pour l’homme, à votre avis ? D’autant que toutes les graines hybrides vendues dans le commerce ont été irradiées – soumises à un rayonnement ionisant – dans le but d’augmenter leur durée de conservation. Une exposition qui produit, selon d’autres études, de nouveaux composés à la toxicité avérée.
Pour qui germent les graines ?
45 milliards d’euros en 2020 pour Bayer, 30 milliards d’euros pour DuPont en 2019, 14,4 milliards de chiffre d’affaires pour Syngeta en 2021… Le brevetage des espèces végétales et l’obligation d’une inscription des graines à un catalogue officiel ont favorisé la concentration et bénéficié à ces trois groupes. La technicisation de l’agriculture favorise les grandes exploitations, la monoculture, et le tarissement du vivier génétique des aliments. Résultat : les teneurs en lycophène, vitamine C et polyphénols sont jusqu’à vingt fois inférieurs dans des tomates issues de graines hybrides que dans celles produites à partir de semences paysannes. Alors, face aux mastodontes de l’agrochimie, des petits poucets (Biau-germe, Kokopelli…) ne vendent que des semences paysannes (graines non irradiées, non hybridées, dont le patrimoine génétique garantit la richesse nutritionnelle), et résistent. Les lobbys semenciers tentent d’ailleurs, à coups de procédures judiciaires, de les faire disparaître. En vain jusqu’à présent...