n° 105  

Le Capital raconté par... mon sapin de Noël

Par Darwin |

Quelle part de notre porte-monnaie va dans la poche de l’actionnaire ou de l’intérimaire ?
Les petits objets du marché de proximité racontent les grands marchés mondialisés.
Fakir remonte la filière de la production et de l’exploitation.


De quoi avoir les boules

Lancée par le président américain Calvin Coolidge, en 1923, la tradition de l’arbre de Noël devient vite un business florissant. Au début les sapins étaient directement prélevés dans les forêts ou cultivés par des agriculteurs, sur de petites parcelles, pour réaliser un modeste bénéfice en fin d’année. Mais avec le temps, de grandes sociétés agricoles flairent le filon de la « magie de Noël » et se lancent sur le juteux marché des épineux.

Au point qu’aujourd’hui, quelques entreprises trustent le marché : NordicTrees au Danemark, Zhangpu Shunxin en Chine et le géant franco-belge Greencap, installé en Bretagne, où il a procédé à la conversion en champs de sapins, en quelques années, de plus de 1000 hectares de terres arables, prés et bocages. La concentration dans ce secteur, comme partout, se poursuit, favorisée par un contexte inflationniste (+ 150 % pour le prix des engrais, + 60 % pour celui du terreau ces six derniers mois). Alors, pour survivre, les PME appliquent les recettes des grands groupes. Deux exemples : la société Forez, dans la Loire, a investi dans des containers frigorifiques destinés à l’acheminement des sapins de Noël à destination des Dom-Tom. Et Naudet, dans la Nièvre, accapare les terrains pour vendre ses 10 000 sapins par jour, en moyenne, en décembre.
C’est que les aiguilles aiguisent l’appétit : en 2021, en France, le sapin de Noël est un marché de 176 millions d’euros de chiffres d’affaires pour 6 millions de résineux vendus. C’est aussi mille emplois permanents et cinq mille pour des saisonniers, principalement portugais et polonais, à qui l’Europe n’a pas voulu faire le cadeau d’interdire le dumping social…

Ça sent le sapin

Le collectif Morvan, constitué de centaines de riverains des champs de sapins, dénonce les conditions dans lesquelles on les cultive : les arbres reçoivent entre 80 et 100 traitements chimiques au cours d’une croissance qui prend entre six et dix ans.
Il s’agit d’engrais, de pesticides (comme le dichlobénil, qu’on retrouve un peu partout dans l’eau de la région) mais aussi de régulateurs chimiques de développement (comme le daminozide qui favorise la cancérogenèse), dont on se sert pour obtenir des sapins grands et fournis. Des toxiques qui contribuent à l’extermination des insectes (pour rappel, au cours des trente dernières années, 75 % de leur biomasse a disparu, ainsi que 30 % des oiseaux communs).

Dans la Nièvre, des éleveurs toujours plus nombreux vendent leur cheptel, abattent des pans de forêts, détruisent les bocages, rasent les haies, drainent des zones humides pour planter des sapins à foison. À 4000 euros l’hectare, cette culture rapporte autant que la vigne. Et tant pis si les populations d’abeilles de Roger Prigent, apiculteur à Marigny l’Église, ne cessent de diminuer. Depuis que ces plantations ceinturent ses ruches, il observe « des brouillards de phytosanitaires s’étirant sur un kilomètre de long » recouvrant parfois les sapins.
Résultat : on trouve de moins en moins de faune aux abords des épicéas et Nordmann, mais aussi moins d’anémones, d’orchidées et de violettes dans les clairières. Le comble : ces pratiques ont la bénédiction de l’U.E. Une loi de 1989 sur les forêts autorise l’usage de produits chimiques en milieu sylvestre pour la culture de sapins de Noël…

Et qu’importe, là encore, si un sapin gavé à la chimie, après avoir été coupé, peut continuer à exhaler ses substances toxiques – d’autant plus s’il est placé dans une zone confinée et à proximité d’une source de chaleur (vous l’avez, l’image du sapin près de la cheminée ?).
Pas de quoi inquiéter cependant Frédéric Naudet, un des acteurs majeurs du secteur, qui nous le rappelle, bienveillant : « le sapin de Noël n’est pas un produit alimentaire »...
Le bilan écologique n’est guère meilleur pour les sapins artificiels qui portent bien leur nom : à base de pétrole, de sels de PVC et de chlorure de polyvinyle, on y trouve aussi du plomb et de l’aluminium… Et la plupart d’entre eux, fabriqués en Chine, affichent une empreinte carbone désastreuse.

Les ravis de la crèche

Le bio ne représente que 2 % de la production, mais des géants comme Greencap ou Naudet en France s’attaquent malgré tout à cette concurrence écologique.
Comment ? à coups de labels moins contraignants que le fameux « agriculture biologique », comme « Planète bleue » ou « Fleurs de France ». C’est que ce secteur reste un Far-West.
Et tant qu’y prévaudra la loi du marché, celle du plus fort, la liberté du renard libre dans un poulailler libre, seuls les plus gloutons survivront.
Comme à Yimu, en Chine, où sont concentrées dans un même quartier les plus grandes entreprises spécialisées dans les articles de Noël (60 % du marché mondial). Comme aux états-Unis où Kevin Hammer, le « Madoff du sapin », supervise les transports d’arbres héliportés depuis l’Oregon et la Caroline du Nord dans des containers réfrigérés en partance pour Doha, Singapour ou Saïgon.
À bien y regarder, les fêtes, dont le sapin de Noël est l’emblème, ressemblent moins à la célébration du miracle de Bethléem qu’à l’apocalypse selon Saint-Matthieu…