n° 103  

Le Fou rend les vaches folles

Par Cyril Pocréaux |

C’est l’envers d’un décor en carton-pâte  : aux épesses, en Vendée, le parc d’attraction du Puy-du-Fou règne en maître.
Comme dans un mauvais western médiéval.
Tant pis pour la démocratie, tant pis pour l’écologie, tant pis pour les agriculteurs qui occupent ces terres depuis des décennies.
Même si les derniers résistent, encore et toujours…


Alexandre nous avait envoyé un courrier  :

« Bonjour, je m’appelle Alexandre, et je suis le plus proche riverain - et agriculteur - du Parc du Puy-du-Fou. Je souhaite vous raconter ce qu’on ne voit pas, de l’autre côté des tribunes… »

Voilà qui attisait notre curiosité...
Direction la Vendée  !

Une histoire familiale

« Mon père s’est installé ici, aux Épesses, la commune qui abrite le Puy-du-Fou, en 1984, et moi en 2019. Mais notre famille était déjà sur la ferme lors de la Révolution française.
La vie, c’est ça  : transmettre.
On est les derniers survivants à pouvoir et vouloir dire quelque chose contre le Puy-du-Fou, qui accapare toutes les terres alentours. Sur trente familles d’agriculteurs historiques qui vivaient ici, il n’en reste plus que deux ou trois, aujourd’hui. »

La ferme d’Alexandre a un accès à l’eau, ce qui peut susciter les convoitises…

« Mais nous, on veut pas partir.
Moi, mon objectif de vie, c’est pas l’argent. Là, j’ai un enfant, maintenant, je veux qu’il grandisse dans un monde qui ressemble à quelque chose. La ferme, j’ai baigné là-dedans depuis tout petit. C’est ce qui me fait vibrer. Plutôt mourir que de vendre. Quand j’ai derrière moi des générations qui se sont battues pour conserver ces terres, comment je pourrais être le dernier et me dire que je ne me bats pas  ? Lâcher tout ça pour de l’argent  ? Qu’on me propose tous les millions du monde, ça ne changera rien. Si un agriculteur accepte de l’argent pour qu’on lui prenne sa ferme, c’est plus un agriculteur. »

Le Vicomte est bon

« Le Puy-du-fou, ça rapporte tellement à la région que c’est impossible de s’y opposer. Pour les bénévoles, les salariés, c’est le centre du monde. C’est ce qu’on leur fait comprendre, en tout cas.
Philippe de Villiers, il négociait le rachat des terres avec les agriculteurs, il s’asseyait à table chez eux pour discuter. Son fils Nicolas, lui, il rachète les terres au prix fort. Et comme beaucoup d’agriculteurs sont en fermage
[ndlr  : ils exploitent la terre contre un loyer], leurs proprios vendent au plus offrant, forcément.

Papa voulait acheter une parcelle en 2013, mais le Puy-du-Fou lui est passé devant pour mettre sur le terrain des boues d’épandage. On a arrêté le processus juste à temps. Ma compagne, elle, ne peut toujours pas s’installer. La Safer, l’organisme chargé de l’aménagement du rural, privilégie le tourisme  : elle file toutes les terres au Puy-du-Fou.

Le système n’a pas changé, aujourd’hui.
En 2016, mon voisin arrêtait, je me suis positionné sur sa parcelle de vingt hectares, mais un mois avant, on a appris que le Puy-du-Fou récupérait tout. Du coup, j’ai dû m’installer sur l’exploitation de mon père, et lui a dû quitter la ferme pour devenir salarié. Maintenant, cette terre-là, elle est devenue en partie leur terrain de jeu pour les répétitions, des gars avec des baïonnettes, des drones, etc. Ils ne veulent pas laisser un agriculteur indépendant dans le coin. En plus, tout ce qu’ils achètent peut passer en constructible. Actuellement, le PLU prévoit qu’ils puissent faire passer 90 hectares de terres agricoles en constructible sur les quinze prochaines années  ! »

Servage

« Ils sont bons en com’, au Puy-du-Fou  : une fois qu’ils ont récupéré les terres, ils gardent l’agriculteur en place ou les donnent gratuitement à des gens qui les cultivent et travaillent aussi pour eux. Mais tout ça avec un bail précaire  : les agriculteurs, du jour au lendemain, s’ils ne font plus affaire ou ne sont pas d’accord, ils peuvent être délogés. On peut pas en vouloir aux gens qui travaillent ici, mais quand même, c’est la fin de la vie dans les villages. Y a plus que des chambres d’hôtes, autour. Et encore, le Puy-du-Fou va voir toutes celles du secteur pour qu’elles passent par eux. »

Les vaches folles

« Le gros problème, c’est le bruit et les feux d’artifice des spectacles. La nuit, nos animaux, ils sont 100 % en extérieur. De toute façon on n’a pas de bâtiment, vu que papa, pour conserver la ferme, a été obligé d’acheter les terres, sinon les proprios nous expulsaient. On y a passé toutes nos économies. Alors, les vaches, elles sont dehors, et elles doivent subir les feux d’artifice. Elles sont paniquées. Avec mon père, on doit les surveiller chaque soir de spectacle, toute la nuit, les calmer en leur parlant, vérifier qu’elles ne cassent pas les clôtures pour s’échapper. Il faut mettre les laitières le plus loin possible de l’endroit où ça pète. Depuis deux ans, ils font passer un avion d’époque type bombardier. En janvier 2020, j’ai dû interrompre une traite, les vaches étaient terrifiées.

Là, tous les débris que tu vois, ça vient de là, des feux d’artifice, porté par le vent. J’ai dû faire constater et attester chez le vétérinaire que ça pouvait tuer un animal s’il l’ingère. Ils atterrissent dans nos champs en fonction du vent, deux fois par semaine, les samedis et vendredis jusqu’à 23h45. Nous, on ne dort pas. Quand ils voient les débris dans les champs, ils nous disent  : ‘‘Prouvez-nous que ça vient du Puy-du-Fou’’. Tu te rends compte  ? Eux, c’est sûr, ils ont des équipes avec plein de bénévoles qui ramassent les déchets sur leurs sites, c’est plus simple. Ils nous proposent d’envoyer leurs gens ramasser chez nous, mais si on accepte ça, ça veut dire qu’on accepte tout. Les feux d’artifice, je comprends pas comment ça peut être autorisé à notre époque, vu la pollution que ça engendre. J’ai retrouvé sur un papier déchiré et à moitié brûlé, dans le champ, le numéro du modèle qu’ils utilisent, le BAM-F4-0216  : ça monte à 121 décibels, le bruit  ! Et j’ai trouvé sur Internet les polluants et les métaux lourds qui peuvent y correspondre en fonction des couleurs utilisées, c’est dingue. Mais eux n’ont jamais été inquiétés. En septembre, ils prévoient même d’organiser un grand festival international de pyrotechnie. Faut bien se refaire la cerise après le Covid… D’ailleurs, on vient de recevoir un courrier nous annonçant qu’il pourrait y avoir aussi, désormais, des feux d’artifice en semaine, car ils s’ouvrent au tourisme d’entreprise. »

Du local… pour les touristes

« Ils disent  : ‘‘Travaillez avec nous, on va vous acheter du lait, de la viande…’’ Bien sûr, ils parlent de consommer local, très bien. Mais pour consommer local ils font venir des touristes du monde entier  ! Le cap des 1,5° C d’augmentation de la température, on ne le tiendra jamais avec un tourisme comme ça. Ils veulent repartir aussi fort qu’avant la crise, alors qu’il faut rompre avec tout ça. Attention, on ne demande pas un arrêt du Puy-du-Fou ni du tourisme, mais au moins le respect de notre travail. On parle d’écologie, de changement climatique, mais ils bétonnent, couvrent d’anciennes zones humides qu’on a déclassées… Ils avaient le projet de construire une sorte de grande route autour du Puy-du-Fou, fut un temps, mais ça ne s’est pas fait. Nous, si on se bat, c’est aussi pour la société toute entière. Sur notre ferme, on est en bio depuis 1984, alors, niveau environnemental, ils ne peuvent pas nous dire grand-chose. Mais quand on leur dit "écologie", ils nous répondent ‘‘économie’’. »

Le clan des notables

« On a tous les écrits  : dès 1989, avec les autres agriculteurs et les riverains, on disait qu’il fallait mesurer les nuisances sonores, etc. Le problème, c’est que l’ancien maire était aussi le président de l’Association du Puy-du-Fou. On lui en veut pas, il est lui aussi pris dans un système. De Villiers était aussi président du Conseil général. Finalement, on n’a jamais eu droit à des mesures de niveau sonore ou de pollution. On a aussi demandé deux fois à la Préfecture la composition des feux d’artifice et des études d’impact des spectacles, en mai 2020 et août 2021. Pas de réponse.

Alors, on essaie de les faire réaliser nous-mêmes, mais les procédures prennent pas mal d’argent. Rien que pour nous défendre, on en a eu pour 10 000 euros de frais. Faut ajouter les huissiers, les études de bruit, etc. Normalement, c’est pas ce qu’un agriculteur doit faire… Ah si, une fois, Nicolas de Villiers nous a dit  : "Je vais vous envoyer un de mes gars ce soir, pour faire un constat." J’ai deux chevaux qui sont partis en furie, ce soir-là, complètement effrayés, à cause des bruits. Mais j’ai jamais reçu le rapport de constat du Puy-du-Fou…

On a fait des dizaines et des dizaines de réunions, sans résultat. La marie se dit impuissante, niveau bruit et pollution. Et de toute façon, maintenant, tous les agriculteurs sont partis. Mais je peux pas leur en vouloir. Maintenant, pour les politiques, ici, il n’en reste plus qu’un ou deux, d’agriculteurs. Alors, un de plus ou de moins…
D’ailleurs, quand ils ont quelque chose à nous dire, ce sont parfois les gendarmes qui viennent comme messagers. L’évêque de Vendée est venu célébrer des messes dans le parc, alors que ce n’est pas une commune… On a même reçu un courrier du ministère de la Transition écologique pour nous dire qu’on n’avait pas le droit de provoquer des nuisances lumineuses la nuit  : celles de nos lampes portatives pour surveiller les vaches la nuit. Alors qu’ils font des feux d’artifice à côté. On vit dans une bulle de non-sens. »

On est revenu au Moyen Âge, je me dis, en écoutant Alexandre  : une seigneurie en conquête pour gagner toujours plus de terres, rallier des territoires, petit à petit. Avec pour ligne directrice la religion, le pouvoir et la crainte qu’il inspire.

Balade en voiture

« Des deux côtés de la route, c’est à eux, oui.Là, cette ferme a été achetée… Là, la consœur, ils lui aussi ont racheté sa ferme… Ici, ils ont racheté la maison de l’agriculteur puis l’ont rasée…… Là, les bureaux, ils sont sortis de terre cet hiver.

On roule sur des kilomètres et des kilomètres…

Tout ça, tout ce devant quoi on passe, c’est à eux, au Puy-du-Fou. Là, c’est un très gros hôtel, le dernier qu’ils aient construit. Leur objectif, c’est de doubler le tourisme d’affaires. Ils mettent des hôtels partout, pendant que l’agriculture se meurt…

Un bruit dingue s’élève du site

Ça, c’est le spectacle des Vikings. Le drakkar qui sort de l’eau, jusqu’en 2021, il générait un énorme nuage noir dans les airs. Là, tu vois, c’est leur école, la Puy-du-Fou Académie.

C’est vrai : la Puy-du-Fou Académie a ouvert son école maternelle et primaire en 2015, et le collège en 2018. Avec élèves en uniforme, levée du drapeau et classes non mixtes à partir du CM2. Le lycée est prévu pour la rentrée 2022.

Ici, tu vois, c’est un ancien chemin agricole qu’ils cherchent à privatiser pour amener les gens en calèche. Il y a même un "pôle gare" dans leur projet. Mais le Département et la Région étudient aussi si ils ne pourraient pas faire passer le TER par là, pour desservir le parc. Du coup, ce n’est pas le Puy-du-Fou qui paierait. Mais bon, les touristes qui passent sur la route, ils voient des moutons, de l’herbe, c’est bucolique… »

Grain de sable

« En justice, on a perdu sur le trouble du voisinage et sur la pollution. La juge a dit qu’on ne justifiait pas que les déchets des feux d’artifice venaient du Puy-du-Fou, et puis que de toute façon le spectacle était en place avant qu’on ne s’installe sur les lieux. Alors que ma famille est là depuis plusieurs centaines d’années  ! On a un acte notarié de 1912 qui le prouve  ! Nous, en un tour de main, on n’est plus là. On sait qu’on ne peut pas faire appel à la justice. On ne peut pas aller au conflit. On voit les oiseaux, l’artisanat, le côté historique… Non  : le Puy-du-Fou, c’est une multinationale qui veut faire de l’argent, et qui le cache derrière un côté associatif. »

Alexandre et son père gardent l’espoir qu’on les laisse tranquilles, enfin.

« Tout est toujours possible. D’autres plus gros qu’eux ont déjà renoncé, face à des causes justes. Finalement, le Puy-du-Fou, il est tout récent par rapport à nous, il n’a que quarante ans. Il faut juste un grain de sable. »