n° 111  

Les petites mains : le scandale des matières premières

Par Le SPMF, syndicat des petites mains de fakiriennes |

Même pour nous, à Fakir, le cours des matières premières s’envole. Alors, la Révolution, la vraie, couve…


« Ah ben justement, on parlait de toi et t’arrives !
—  Parce que, c’est plus possible, regarde : le dérouleur à scotch qui coupe pas, le Tipex qui coule pas, les enveloppes qui collent pas… Comment veux-tu qu’on bosse, dans ces conditions ?
—  Bon ben, bonne année, déjà… »

C’est vrai qu’on l’a pris à la gorge, le rédac’ chef, dès qu’il a passé la porte, ce jour-là. C’était début janvier : le meilleur moyen de lui souhaiter nos vœux.
Mais il fallait bien : depuis quelque temps, la grogne monte, chez nous, les petites mains bénévoles. De plus en plus de commandes et de journaux à envoyer ? Pas de souci, on dit rien. On travaille plus pour gagner pareil, vu qu’on n’est pas payées ? Pas de souci, on dit rien.
Mais là, c’est la dèche : du scotch qui colle pas, des cartons si fragiles qu’on dirait du papier crépon, et tout le reste. Bref, c’est la crise des matières premières, pour nous !

Il a saisi machinalement un petit pot blanc sur la table, en guise de réponse, comme si de rien n’était. Pour faire diversion, le fourbe.
« Oh du Tipex, comme quand on était mômes, c’est chouette…
—  Mais on s’en fout de ta nostalgie ! Nous on veut bosser dans de bonnes conditions. On est bénévoles, OK, mais ça se respecte.
—  Oh, vous savez, c’est pas moi le plus indiqué pour ce genre de choses, la logistique ça n’a jamais été mon truc… Tout ça, faut voir avec Tristan… »

Ils ont trouvé le truc, ces deux-là : ils se renvoient la balle, maintenant, entre rédac’ chef et directeur. Bien pratique pour éluder les sujets.

Comme la moutarde montait, Magalie est descendue, pour en remettre une couche : « Nan mais c’est vrai que si on avait des enveloppes de bonne qualité, on n’aurait pas besoin de les scotcher avec du scotch qui scotche pas… Les fournitures, elles sont de plus en plus chères, et pour une qualité moindre. Et celles à prix correct, avec le problème de carte bancaire, je ne peux plus les acheter en ligne…
—  Donc, vous margez sur nos matières premières, en fait ! »
, ont lâché Karine et Danièle.

Le rédac’ chef a pris une grande inspiration.
« Là, je vous arrête. Parce qu’y a un truc que je ne peux pas entendre, c’est qu’on ne va pas réussir à atteindre nos objectifs – changer le monde, et vendre un max de journaux, ça compte aussi, les sous – à cause d’un rouleau de scotch. Ça, c’est pas possible ! Comment ils ont pris la Bastille, à l’époque ?
—  Hein ?
—  Les gars, et les filles, ce 14 juillet, ils sont allés chercher tout ce qu’ils avaient sous la main, pour entrouvrir l’espoir : des planches de bois, des fourchettes, des roues… Et ils ont pris la forteresse, oui ! Est-ce qu’ils se sont plaints, avant l’assaut ? Alors, le scotch qui colle pas assez… Tiens, ça ferait une bonne idée d’édito, ça ! »

Et il est monté dans son bureau, l’air inspiré…
On est retournées à nos enveloppes, mais en se promettant bien que la prochaine Bastille qu’on prendrait, ce serait son bureau du deuxième étage. Et que lui finirait noyé dans le jacuzzi, à défaut de guillotine !