Une poignée de lecteurs oublient de se réabonner, et c’est le psychodrame.
Les petites mains : les 351 déserteurs

« C ’est vrai, ce que je lis ? Les chiffres, là… »
Il est descendu, tout pâle, le rédac’ chef, en tenant à la main un bout de papier. On a vite reconnu les chiffres des derniers abonnements, qu’avait imprimés Magalie. Il a entamé la lecture, bredouillant, les jambes flageolantes.
« "Total abonnés : 12 202 (soit moins 351 par rapport au précédent numéro). Peu de nouveaux abonnés : 219 seulement."
351… 351 abonnés en moins… »
Pour Cyril, voir les abonnements (ou les ventes) baisser, c’est un peu comme un gouffre qui s’ouvre sous ses pieds. Un séisme. Une catastrophe à ranger au même rayon que les plaies d’égypte, l’éruption du Vésuve sur Pompéi… On a essayé de le rassurer, du coup.
« 351 en moins, sur plus de 12 000, c’est pas énorme…
— 2 %, quand même ! 2 % ! C’est vertigineux ! »
Il a poursuivi, toujours aussi blême. « Faut arrêter l’hémorragie. On pourrait pas imaginer des mesures, genre "name and shame" ? On leur fout la honte. On publie leur nom, aux non-réabonnés, dans le prochain numéro, une pleine page… » Il délirait, complet.
« Mais ça va pas, non ?
— T’inquiète pas… tu sais comment ça fonctionne : ça baisse, et le coup d’après ça remonte. Nos lecteurs sont les meilleurs, mais parfois ils sont distraits, oublient de renouveler…
— On peut lancer une campagne, offrir un badge avec l’abonnement, ça va repartir ! C’est comme ça, ça va ça vient.
— Ouais mais là, ça s’en va et ça revient pas, a priori…
— Tu sais, pour la presse alternative, c’est quand même pas mal du tout, ces chiffres. Et nettement mieux que les autres ! »
Il s’est assis à la grande table de réunion-repas-pliage, songeur, a saisi machinalement une plaque de chocolat, signe en général qu’il s’enfonce encore un peu plus dans la déprime.
« Mais on n’est pas comme les autres… On est Fakir ! On doit être lu, transmis, discuté, on doit inonder le pays ! J’ai fait un rêve : je rêve d’un abonnement Fakir dans chaque foyer… Que, dans le métro, tout le monde nous lise, plutôt que son smartphone. Qu’on gagne la bataille des idées. On était à quoi ? 16 000 abonnés, et là… » Il s’est redressé : « Et puis, y a les salaires, nos salaires ! On ne va plus pouvoir se payer si on ne vend plus assez ! »
Ça devenait beaucoup plus terre à terre, d’un coup, beaucoup moins « grande bataille des idées ». On a essayé de ne pas le brusquer : « Mais t’imagines, un Fakir dans chaque foyer, le boulot derrière ? Les exemplaires qui reviennent, ce que ça ferait comme travail ?, a pointé Pascale.
— Le fichier des abonnés, on le bosse encore sur tableurs Excel ! a plaidé Magalie.
— Et la chaleur ?, a renchérit Aline. Dans mon bureau, sous le toit, il fait 40°. C’est pas des conditions de travail… »
Ça tournait aux revendications syndicales. « Et puis, y a quand même un point positif, le taux de réabonnement augmente. Ça devrait nous laisser juste assez de marge pour le jacuzzi… » On n’a pas poussé la blague plus loin, tellement il semblait proche du malaise, le rédac’ chef. Alors, si vous voulez lui éviter la dépression, abonnez-vous sur notre site (ou rendez-vous en dernière page) !