n° 114  

Les chasseurs de pauvres

Par Anaïs Carpentier, Cyril Pocréaux

Qu’est-ce qui arrive aux chômeurs en fin de droits ?
Direction le RSA.
Et qu’est-ce qui arrive aux bénéficiaires du RSA ? « On les flingue »…

« En gros, on est des chasseurs de primes. C’est ça, oui : maintenant quand tu travailles dans l’insertion sociale, t’es un chasseur de primes… »

Philippe en a gros sur la patate. Tu m’étonnes : trente ans qu’il se tait, pour ne pas mettre en danger sa boîte de 30 salariés, à Tourcoing. Mais le voilà parti en retraite. Alors, il peut parler, et ne s’en prive pas. C’est pour ça qu’il nous avait écrit, comme une bouteille à la mer. Et qu’on l’a contacté, du coup.

Et sa révolte, son indignation, c’est la chasse aux allocataires du RSA (le revenu de solidarité active), lui qui a bossé une grande partie de sa vie en tant qu’animateur puis gérant d’une structure dans l’insertion sociale et professionnelle. Il attaque, d’emblée, dans le désordre, comme si le bouchon de la cocotte sautait d’un coup.

« Tu sais ce qui lui est arrivé, à ma voisine ?

—  Euh… non…

—  On lui a sucré le RSA, pendant trois mois. Elle n’avait que ça, pour vivre. Et pourquoi ?

—  …

—  Parce qu’elle n’a pas été à une convocation. Sauf que la lettre pour cette convocation, elle ne l’a jamais reçue ! Et bien sûr c’était à elle de le prouver. Sauf que c’est impossible de prouver qu’on n’a pas reçu quelque chose qu’on n’a pas reçu ! Pendant trois mois, elle a été à la Banque alimentaire, aux Restos du cœur. Tout ça, c’est un temps où elle n’était pas disponible pour chercher un emploi : elle était occupée à survivre. Et puis, faute de pouvoir payer le loyer, elle a été expulsée de son logement… C’est comme ça pour beaucoup de monde, on leur enlève le RSA, juste parce qu’ils ont pas répondu à un mail…

—  Attends, tu me disais que tu étais devenu un chasseur de primes… C’est quoi, le rapport ? T’es pas censé les aider, les gens comme ta voisine ?

—  J’y viens, c’est là tout le problème. Le RSA, ça dépend des départements, l’état leur délègue : remplir l’obligation de fournir un revenu minimum aux gens qui n’ont rien, et qui ne pourraient pas vivre sans ça. C’est calculé et attribué selon un plancher de revenus, ça représente environ 590 euros pour une personne seule. Et l’état vote chaque année le budget alloué aux départements. Le problème, c’est que depuis des années le montant accordé aux départements est à euro constant, il ne varie pas… alors que le nombre de bénéficiaires augmente. En gros, c’est toujours le même gâteau à partager sauf que plus de monde est dans le besoin. Des départements comme celui du Nord n’arrivent plus à boucler leurs budgets, et ils ne peuvent pas s’endetter ni être en déficit, contrairement à l’état. Alors, et c’est ce qui me révolte, pour rééquilibrer le budget, certains départements mènent une chasse aux allocataires.

—  Je comprends : comme ta voisine !

—  Voilà. Comme on n’arrive pas à juguler la masse des gens au RSA, dans le besoin, on les flingue. Ils montent des commissions chargées de statuer sur la su

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