À Lillebonne, en Normandie, les médecins voyaient dépérir leur petite clinique locale, pas assez rentable pour les nouveaux proprios. Alors, ils ont repris les choses en main…
Les médecins délogent les financiers !
« Les vieux, ici, ils devaient faire 50 bornes pour se faire hospitaliser à Rouen, ou au Havre. Moi, ce que je voulais, c’est qu’ils puissent se faire soigner là où ils vivent, à la campagne... »
À 75 balais, le docteur Henri Stumm ne se voit pas finir sa vie ailleurs que dans le petit coin de Normandie où il a débarqué quand il avait 30 ans. 45 années, déjà, que cet anesthésiste parisien exerce dans la même petite clinique locale, à Lillebonne, 10.000 habitants. « Je voulais continuer à travailler ici. C’est primordial que les médecins vivent avec leurs malades, comme le boulanger, l’épicier et le boucher avec leurs clients. Et que le jour où je serai malade, je puisse être soigné dans cette structure à taille humaine. Alors, quand j’ai vu que la clinique était en train de couler... »
La situation se dégrade en 2019, quand Henri et les autres actionnaires de la clinique vendent leurs parts au groupe LNA Santé. Très vite, les premières fermetures : d’abord les soirs de week-end, puis les week-ends entiers, et même les soirs de semaine. Fin juin 2022, la clinique Tous Vents n’est plus ouverte que cinq jours sur sept, de 7h30 à 18h. « Ça devenait une clinique ambulatoire. La direction était inhumaine avec le personnel. Ils s’intéressaient surtout aux autres établissements du groupe, des Ehpads par exemple... Tout le monde se barrait, il n’y avait plus d’infirmières. La notion de service aux gens n’existait plus. À terme, ça allait fermer. » Mais l’anesthésiste ne peut se résoudre à abandonner les 100.000 habitants du bassin de vie. « J’ai endormi presque tout le monde dans la région ! Il n’y a pas de raison que les gens de la campagne soient abandonnés, qu’on les traite comme des gueux. »
Alors, « ça m’est venu d’un coup. J’ai réuni les autres médecins dans une salle de la clinique et je leur ai dit : "Dans peu de temps, ça va s’effondrer. Moi, je suis âgé, mais vous, ça vaut le coup de continuer. Et si on essayait de racheter ?" Les collègues, cette clinique, elle fait partie de leur vie, les patients aussi. On a dit à LNA qu’on allait reprendre les Tous Vents. Chacun a mis de l’argent au prorata de ce qu’il pouvait. Compte tenu de la situation, c’était pas très cher. ça n’a pas été simple, mais on a réussi notre coup ! »
Le 3 octobre 2022, sept des onze médecins deviennent les nouveaux propriétaires de la clinique. Mais le plus dur reste à faire : recruter du personnel pour rouvrir à plein régime. Pour le faire savoir, les salariés lancent un appel à candidatures via une vidéo. « Les réseaux sociaux, c’est ma fille qui m’y a mis, sourit Henri. Moi, je ne lis aucun mail, je suis contre la dématérialisation, la téléconsultation et tout ce qui déshumanise, mais j’aime bien parler. » Problème : « On n’a eu aucun soutien des institutions, même pas de relais sur les réseaux. Il a fallu se débrouiller par nos propres moyens… » pointe Sixtine, la fille d’Henri, qui rejoint alors les Tous Vents comme directrice. « Ça nous a pris plus d’un an. Tous les établissements font face à un recrutement de plus en plus difficile, surtout pour le personnel infirmier. Alors dans notre vidéo, on a mis l’accent sur la qualité de vie locale, notre fonctionnement familial, des horaires assez souples et des salaires attractifs. »
Grâce aux échos médiatiques, la clinique accueille ses premières recrues. En décembre 2022, elle rouvre, timidement, trois soirs par semaine, puis de plus en plus, jusqu’à, enfin, la réouverture sept jours sur sept et 24h/24 en janvier 2024. « C’est vital, parce que ça permet de désengorger les urgences, tous ces cas qu’on n’a pas pu accueillir pendant un an et demi. » Et que la santé reste un service de proximité !