Comment vous croyez que vous les avez reçus, vos Tchios Fakir ?
Parce qu’on a réactualisé le concept de Lumpenprolétariat…
Les petites mains des Petites Mains
« Bon, sans nous jeter des fleurs, c’est quand même un gros, gros succès, tous ces envois, un demi-million de Tchios Fakir qui ont inondé le pays… » Le directeur voulait nous attendrir, en réunion. Il a continué :
« Alors, merci pour votre travail. Maintenant, pensons à la suite…
— Et c’est tout ? »
Magalie tapotait des ongles sur la table, les yeux sur son cahier et les sourcils levés – et ça, c’est jamais bon signe.
« Parce qu’y en a eu, du boulot, derrière. Mes heures sup’, elles vont passer où ?
— …
— Et les risques qu’on a courus pour notre sécurité ? »
C’est vrai que ça faisait peur, à Fakir, entre les paquets de 250 Tchios, les cartons vides qui arrivaient, les cartons pleins qui s’empilaient… Tout ça s’accumulait, bouchait les fenêtres et la vue, formait des murs branlants de deux mètres de haut, un vrai labyrinthe prêt à s’effondrer, nos locaux. Un miracle que tout ne se soit pas cassé la gueule sur les membres de l’équipe.
« Et tout ça alors que certains de mes bénévoles habituels étaient partis faire campagne ! » Elle comprenait qu’elle avait pris l’avantage, dans la négociation.
« Bah quand même, on était là pour aider… On a été de bons petits lutins, non ? »
C’est Maëlle, toute timide, qui osait interférer. Maëlle, c’était notre stagiaire, à la rédac, qui en finissait tout juste, cette semaine-là, avec son séjour chez nous. Elle passait le témoin, sur ces quelques jours de folie, à Anaïs, qui venait aussi se frotter à l’écriture. Et elle parlait également pour Angelo, qui devait comme tous les élèves de 2nde se taper un stage de deux semaines. Trois stagiaires : on n’avait jamais vu ça, à Fakir !
Mais Magalie a coupé court : « Oui ben les lutins, les petits comme les grands, ils sont rincés !
— Oui mais nous on est encore moins payés ! » a rigolé Maëlle.
Magalie sentait que la situation dérapait : elle abattit sa dernière carte :
« En plus, en plein pendant les envois, c’était la semaine de la QVCT !!
— Hein ? C’est quoi ce truc ?
— La semaine de la qualité de vie et des conditions de travail, monsieur le directeur ! T’étais pas au courant ? »
Tristan aurait pu être sonné, mais trop tard : un coin était enfoncé. Une brèche, une faille était apparue entre salariés et stagiaires. Le rédac’ chef s’engouffrait dedans : « Je crois que nos stagiaires ont raison, et leur réaction est tout à leur honneur. On fait tous ça, à Fakir, vendre à la criée, distribuer des journaux, les envoyer. Ils voulaient découvrir le journalisme, ils ont découvert le plaisir de faire lire, y a pas plus beau ! »
Mais le vent a tourné, une fois de plus :
« Oui enfin bon, on a été bien exploités, quand même…
— Et t’as même plus le temps de relire nos articles ! »
Ce qu’il y a de bien pour la direction, avec les stagiaires, c’est qu’il n’est même pas besoin de les virer : leur stage est déjà terminé !