250 000 emplois menacés en France. « Un tsunami » sur le terrain, dixit Christophe, ouvrier chez Stellantis. Ouvriers à la Fonderie de Bretagne, chez Stellantis, Michelin, soignantes, enseignantes… Ce jeudi 12 décembre, Fakir est allé donner la parole aux salariés en lutte aux quatre coins du pays. Reportages.
Les raisons de la colère
« J’ai la rage, face à la casse de l’industrie. La rage face à la casse de l’automobile en France. Chez nous, Stellantis Mulhouse, c’est 450 emplois supprimés. Derrière, c’est 1200 emplois supprimés chez les sous-traitants. On ne le dit pas assez : un emploi direct supprimé, c’est trois emplois indirects menacés derrière. En tout, ça fait 200 000 à 300 000 emplois menacés. C’est un tsunami ! » Christophe, bonnet vissé sur la tête, est dans le cortège à Mulhouse. Comme lui, des milliers d’ouvriers de l’industrie se sont mobilisés ce jeudi 12 décembre.
Parce que l’Industrie fout le camp
« Renault nous a lâchés. Renault a décidé de délocaliser en Espagne, au Portugal et en Turquie. Ici, à la Fonderie de Bretagne, 350 emplois sont en péril. » Maël, ouvrier à la fonderie, est devant son usine, chasuble CGT sur le dos. Sous le soleil breton, il développe. « On était une fonderie intégrée dans le groupe Renault. Mais ils recherchaient toujours plus de profits, tout simplement, d’où les délocalisations. Notre directeur cherche un nouveau repreneur, mais Renault ne l’accepte pas. On est mobilisés pour une seule chose : la survie de la fonderie, le maintien de nos emplois. » C’est une entreprise stratégique, pourtant : « On va construire des pièces pour voitures électriques. Et on va sortir du tout automobile : construire des pièces pour le matériel agricole, les engins de travaux publics, des pièces pour le ferroviaire... » Le patron, Jérôme, la soixantaine, se bagarre auprès des salariés pour maintenir l’usine ouverte. A l’intérieur de la fonderie, un sacré spectacle, celui des fours en fusion. On dirait de la lave, des mini-volcans, fascinants. Certaines machines sont flambant neuves. Frédérique, ouvrier, avec ses yeux bleus et ses cheveux poivre et sel en arrière, une gueule d’acteur, mâche une sucette, préoccupé. « Nous sommes une fonderie ultra-moderne et ultra-compétitive. On a des commandes qui arrivent. On a un outil de travail performant. On se diversifie, Renault a des aides de l’État… ça n’a aucun sens qu’on ferme ». Dehors, des centaines d’ouvriers sont sur le piquet pour accueillir Sophie Binet, Secrétaire générale de la CGT. Les grosses flammes des palettes et la fumée s’élèvent dans le ciel bleu. Une pancarte est posée sur l’herbe : « non à la mort des fonderies ».
Parce que les actionnaires se gavent d’argent public, puis délocalisent
À 225 kilomètres de là, l’usine Michelin de Cholet. Depuis l’annonce de la fermeture du site, le 5 novembre, Fakir vous fait vivre leur combat. Entre les sites de Cholet et Vannes, 1234 emplois sont menacés. Dans l’agenda des Michelin, ce jeudi 12 décembre a été coché en rouge. Des délégations de toute la France sont là. Des centaines de chasubles se serrent, s’agglutinent, sous le soleil, devant la minuscule sono.
« L’argent dans cette entreprise, il coule à flot. Depuis 2010, c’est plus d’un milliard d’euros de bénéfice chaque année. Aujourd’hui, c’est même plus de deux milliards d’euros de bénéfice. Et 1,4 milliards d’euros reversés aux parasites que sont les actionnaires. C’est les actionnaires le problème. » Les « ouh » montent de la foule. Serge, cariste chez Michelin depuis 1988, casquette rouge et lunettes de soleil, continue son réquisitoire, doigt levé. « On a un devoir, c’est de maintenir l’entreprise ici à Cholet pour les futures générations. Que vont faire nos enfants, nos familles, si l’entreprise ferme ? Déjà Michelin Vannes, Michelin La Roche-sur-Yon, Michelin Orléans, Michelin Poitiers… Alors que Michelin a touché plus d’un milliard d’euros d’aides publiques en dix ans ! »
Mais où part donc « l’argent public qu’on leur a donné ? », faisait semblant de s’interroger Michel Barnier, notre déjà ex Premier ministre. Serge a une piste pour Michel et tous ceux qui lui succèderont : en dividendes, donc, et en délocalisations. « Bien sûr que l’usine de Cholet et l’usine de Vannes sont rentables… mais pas assez : en Thaïlande, au Brésil, en Pologne, la main-d’œuvre coûte bien moins cher. Le salaire minimum là-bas, c’est 200 balles ! »
Parce que les soignantes sont en burn-out
Ce jeudi, en plus de l’industrie, la fonction publique était également dans les rues du pays. « On mène l’Hôpital au suicide. On ne peut pas être à la fois infirmières, brancardières, soignantes, psy, consoler les collègues, aider les familles... ». Céline, infirmière, grosse doudoune, s’inquiète : « ça va, j’ai assez la niaque ? » Elle défile dans le cortège parisien, avec d’autres collègues soignantes. « On met en danger les hôpitaux français. On demande aux gens d’assumer plusieurs postes en même temps. C’est dangereux pour les patients, c’est dangereux pour le personnel. Les agents sont en burn-out. On fait jusqu’à 60 heures par semaine. »
Sur sa doudoune, Céline a un autocollant « j’aime l’Hôpital public, je le défends ! ». On lui demande si elle attend quelque chose du nouveau gouvernement. « J’attends que Monsieur macron se retire les doigts du cul… Excusez-moi du terme, hein. Il faut choisir : soit on veut une santé française qui tient la route, soit on privatise comme aux Etats-Unis. Faut arrêter de nous prendre pour des cons. Et il faut aussi le dire aux jeunes : « Réveillez-vous ! » On est en train de perdre tous les acquis arrachés en 1968 par nos aïeux, faut se battre pour nos droits ! »
A 700 kilomètres de là, Marseille. Dans le cortège, on tombe sur Françoise, enseignante. « Des élèves se retrouvent sans profs. Des enseignants se retrouvent à la rue juste avant Noël, et ils n’auront pas de salaire en décembre. De nombreux contractuels n’ont pas été renouvelés dans l’éducation nationale, faute de budget. » Crise sociale, politique : la colère déborde de partout.
Parce que « Macron, faut qu’il dégage »
« Macron, faut qu’il dégage. J’ai fait 8000 kilomètres exprès depuis la Guadeloupe pour manifester. Le NFP est arrivé en tête des élections. On veut des augmentations de salaires. On veut le partage avec le capital qui n’arrête pas de s’enrichir. Ras-le-bol ! » Bertin, inspecteur des finances publiques, capuche sur la tête, défile avec ses camarades de Martinique et de La Réunion.
Qu’au moins le nouveau gouvernement de François Bayrou entende cette colère (même si on n’y croit pas une seconde)…
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Un grand merci à nos dix reportrices et reporters qui ont couvert la mobilisation avec talent : Clothilde (Valenciennes), Claire (Gard), Jorim (Lorient, Fonderie Bretagne), Loïc (Toulouse), Mathieu (Paris), Katia (Marseille), Françoise (Lorient, Fonderie Bretagne), Cyrille (Mulhouse), Thibault (Annecy), Méziane (Toulouse), Lou (Calvados).
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