Des consultations sans argent, ni carte vitale ? De la pure folie pour la Sécu, qui menaçait de leur couper les vivres. Mais les infirmières d’Asalée ne se sont pas laissé museler...
Libérées, délivrées, les Asalée !
« La Cnam nous met la pression, elle torpille nos finances depuis plus d’un an. Aidez-nous ou on risque la liquidation ! » Ce genre de SOS, on en reçoit régulièrement à la rédaction. Mais dans son message, Carine, infirmière Asalée près de Nancy, a fait mouche. « Asalée, c’est un véritable projet de gauchistes, un truc complètement utopique dans notre société actuelle ! On part du besoin des patients sans qu’ils aient à avancer d’argent ou passer leur carte vitale. L’argent, la paperasse, on voit ça après, et ça change tout pour les patients : ils peuvent parler de tout, de leur pathologie, mais aussi des problèmes à la maison ou au travail. »
Fondée en 2004 dans les Deux-Sèvres, l’association Asalée a essaimé dans toute la France. Elle regroupe aujourd’hui plus de 2 000 infirmières qui travaillent avec 10 000 médecins pour prendre en charge toutes sortes d’affections chroniques : diabète, maladies cardio-vasculaires, respiratoires, cognitives, obésité, tabagisme, troubles de sommeil, violences intrafamiliales, etc.
« Notre travail, c’est pas juste de poser un pansement en cinq minutes comme à l’hôpital. Nous, pendant une heure, on prend le temps d’écouter, de conseiller, de rassurer... Ça permet aux médecins de réduire les traitements, complications et hospitalisations : moins 10 % par an ! Donc on fait faire des économies à la Cnam. Puisqu’il n’y a que ça qui compte maintenant… »
Pourtant, Asalée se retrouve avec un comité de surveillance sur le dos. Puis la Cnam leur annonce ne plus prendre en charge les loyers des cabinets médicaux. Leur siphonne les huit millions d’euros de réserves de l’association. Résultat : en 2024, l’asso se retrouve chaque mois à découvert pour régler les salaires et les charges. Elle a jusqu’au 30 juin pour éviter la liquidation.
« On était vraiment à sec, à l’os. Les salaires étaient payés le 5 du mois suivant, ça posait un gros problème pour beaucoup d’entre nous.
— Mais pourquoi la Sécu vous a mis la pression comme ça ?
— En fait, ça les dépassait. Quand on leur expliquait notre philosophie, ils étaient comme une poule devant un couteau... Ce qu’ils voulaient, c’est de pouvoir tout contrôler, comme à l’hôpital. Mais nous, on s’est pas barré de l’hôpital pour y retourner. Moi, j’ai travaillé dix-sept ans au CHU de Nancy, c’était devenu ma famille, mais depuis la tarification à l’acte, plus personne ne veut y bosser, à l’hôpital. »
Le 27 février 2024, Asalée contre-attaque : comme des centaines d’infirmières et médecins du réseau, Carine bombarde de messages médias et élus locaux, y compris le député LR (et anti-IVG !), de sa circo. Courant mars, les premiers articles et reportages fleurissent partout en France. À l’Assemblée et au Sénat, les parlementaires multiplient les questions au gouvernement. Sur le terrain, Paolo Cardoso Martins, infirmier à Brix (Manche), accueille ses patients sur le parking de la maison de santé en signe de protestation ! Malgré ce remue-ménage, les négociations avec la Cnam traînent en longueur. Alors Asalée passe au stade supérieur : conférence de presse, pétitions en ligne... Mi-avril, enfin, la Cnam cède et s’engage à sauver l’association… Problème : le projet de convention ne prend toujours pas en charge tous les emplois et loyers. Il fixe en revanche un nombre minimum de consultations par an. Les négociations se poursuivent, pied à pied, réunion après réunion. Finalement, face à la mobilisation, la Sécu cède sur la plupart des revendications. « C’est une victoire, oui ! On n’a pas eu gain de cause sur les loyers, mais la pérennité de l’association et de tous les emplois est sécurisée. Le nombre de consultations minimum devient facultatif ! » Ne pas transformer la santé en entreprise privée, c’est déjà ça de gagné !