n° 103  

L’exploité du mois : Maïmouna, l'exploitée inter-classes

Par Cyril Pocréaux |

« C’était en 2017 : des copains abonnés à Fakir me proposent de me joindre à la campagne de Ruffin pour les Législatives. On a fait le week-end de lancement, entre potes. Ça nous avait tellement plu qu’on est revenus ! »


Maïmouna venait de mettre le doigt dans l’engrenage. Mais elle était prise dans nos filets depuis quelques mois, déjà, sans le savoir. « J’étais allée voir Merci Patron ! et ça avait été un déclic. Avec quelque chose d’essentiel dans la démarche : lutter en se marrant. » Grande, fine, cheveux frisés au vent, les yeux noirs, on repère vite Maïmouna, de Fêtes de l’Huma en fêtes tout court. Chargée de recherche au CNRS – « sur la physique optique, pour améliorer l’imagerie médicale » – elle suit le chemin obligé pour tout Fakirien qui se respecte : vendre des journaux à la criée, d’abord.

« Et là, c’est surtout avec les gens que tu noues un truc, plus qu’une cause, finalement », elle songe. « À Fakir, y a une diversité de profils incroyables, des anciens ouvriers et des cadres, des classes populaires et bourgeoises, que des gens qui réfléchissent, qu’ils aient fait des études ou pas. Un gars comme Patrick, ancien bûcheron, il m’a tellement apporté intellectuellement… » Faut dire que, pour « Maï », la démarche relève de la catharsis. « J’avais besoin de ça. Je suis vraiment le résultat d’un croisement de classes : un père sénégalais qui vient de tout en bas de l’échelle, et qui galère encore vraiment aujourd’hui. Et de l’autre côté, une mère expatriée à Washington, mes potes de jeunesse fils d’ambassadeur… J’ai toujours vécu entre ces deux extrêmes, à côtoyer les deux classes. Mais dans mes grandes écoles, la manière de penser n’était pas la mienne. Je n’avais personne avec qui parler, je vivais comme une honte ce que je pensais, quelque chose en moi que je ne pouvais pas exprimer… Et là, Fakir, ça a été comme un coming out : oui, eux, ils sont comme moi ! » Avec un sens politique, derrière, en plus. « Le racisme, je connais, des gens luttent contre remarquablement bien. Mais le racisme de classe que j’entendais parfois autour de moi, qui m’était insupportable, personne n’en parlait, personne ne s’y attaquait. J’ai trouvé ça à Fakir. »

Tout s’enchaîne très vite, alors. « Plus tu es là, plus on te rappelle ! Je me suis retrouvée devant des salles entières à animer des débats pour J’veux du soleil ! Je ne me sentais pas légitime du tout, mais on nous faisait confiance… » Après les salles obscures, la tournée d’été. « On était hébergés chez des gens partout en France pour faire des débats, une vraie liberté. » Au point que certains dans l’équipe de la tournée ont « changé de vie, ce fut une révélation. Un de nous, polytechnicien, a rencontré sa copine sur un rond-point de Gilets jaunes ». Maï a hésité, elle aussi, à franchir le pas. « J’ai vu d’autres manières de vivre. Aujourd’hui encore, pour convaincre les gens autour de moi, je m’inspire de tout ça. » En contrepartie, elle a été bombardée co-préfète de la Fakirie parisienne. Elle en soupire. « C’était censé être temporaire… » Quand je pense qu’elle y a cru, Maï, qu’on exploiterait juste « temporairement » une fille comme elle…