n° 102  

Médias : six rois dans sa manche

Par Cyril Pocréaux , Damien Maudet, François Ruffin |

2017  : pour Macron, l’heure de faire fructifier, déjà, le carnet d’adresses et les réseaux tissés depuis dix ans. Avec en premier lieu, dans son jeu, six rois des médias, rien que ça.


Xavier Niel (2010)

« On a un super Président, qui est capable de réformer la France. Il est en train de faire des lois fantastiques  !  » Xavier Niel ne tarit pas d’éloges sur Emmanuel Macron. Depuis leur rencontre, à l’automne 2010, le PDG de Free ne cache pas sa flamme  : «  Je découvre un banquier super cool. Intelligent, bonne dynamique, bonne pêche, vachement sympa. Des dents longues – ce qui est une qualité – il a le don de s’adapter à son interlocuteur. On est devenus copains.  » Pas inutile quand on sait que Niel possède alors Le Monde, et qu’il a acquis depuis L’Obs les groupes Nice‑Matin, France‑Antilles… un groupe qui pèse plus de 500 millions d’euros.

Arnaud Lagardère (2012)

Le groupe Lagardère  : c’était, chez Rothschild, l’un des principaux clients d’Emmanuel Macron, qui avait alors quitté le service de l’état et l’inspection des Finances pour le privé. Quand il revient dans le public, en tant que secrétaire général adjoint de l’Élysée, il négocie encore pour Lagardère la cession des parts d’EADS… mais cette fois au nom de l’état. Lagardère, enthousiaste, trouve le deal, ses 1,8 milliard de plus‑value, « formidable  : enfin des responsables qui gèrent les participations de l’état comme s’ils étaient un fonds de pension...  ». Logique que le groupe Lagardère (Paris Match, le Journal du dimanche, Europe 1, Virgin Radio…) prodigue ensuite au Macron devenu candidat des louanges à longueur de colonnes.

Martin Bouygues (2012).

1,6 milliard  : c’est le prix à payer pour se faire un nouvel ami comme Martin Bouygues, propriétaire de TF1 et LCI. Pas grand‑chose, finalement. Surtout quand on paye avec l’argent du contribuable…

Tout commence en 2012. Bouygues veut se désengager d’Alstom, le fleuron français du ferroviaire, dont il possède 28 %. Macron, alors secrétaire général adjoint de l’Élysée, s’empare du dossier. Commande un rapport, dans le plus grand secret, sur l’avenir d’Alstom et les scénarios permettant à Bouygues de se désengager. Le rapport suggère un démantèlement d’Alstom, au profit de l’Américain General Electric. Et beaucoup y trouvent leur intérêt  : «   Côté Alstom, on comptait dix cabinets d’avocats, deux banques conseils (Rothschild & Co, Bank of America Merrill Lynch) et deux agences de communication (DGM et Publicis). Côté General Electric, on comptait trois banques conseils (Lazard, Crédit Suisse, et Bank of America), l’agence de communication Havas et de nombreux cabinets d’avocats », relève un rapport d’enquête parlementaire. Macron ne s’y oppose pas, bien au contraire… Pendant près de deux ans, il cache au gouvernement les menaces qui planent sur le groupe français. Quand il l’apprend, très tardivement, le ministre Arnaud Montebourg tentera un décret pour permettre à l’État de mettre son veto à toutes ventes d’entreprises stratégiques. Trop tard. Alstom est vendu, Bouygues récupère 1,6 milliard, donc, et la reprise par GE s’avère une débâcle industrielle. Quant au président de la commission d’enquête montée sur le sujet, Olivier Marleix, il pointera l’étrange similitude entre les conseils dans cette affaire et la liste des grands donateurs pour la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron…

Patrick Drahi (2014)

Ses holdings et ses filiales s’enchevêtrent, tantôt au Luxembourg, au Panama, à Guernesey, aux Pays‑Bas, etc. Mais comment s’est enrichi Patrick Drahi  ? En s’endettant  : jusqu’à 60 milliards de dettes. C’est ainsi que sa modeste société, Altice, a racheté, en 2007, la totalité des câblo‑opérateurs français, réunis sous la marque Numéricable. Au printemps 2014, la grenouille voit encore plus gros  : racheter SFR à Vivendi. Sauf qu’Arnaud Montebourg, alors ministre de l’économie, s’y oppose, et vivement. Emmanuel Macron est alors à l’élysée et Bernard Mourad, l’un de ses intimes, bras droit de Drahi, présente les deux hommes. Macron obtient le feu vert du président Hollande. C’est même lui, Emmanuel Macron en personne, qui signe, depuis Bercy, l’autorisation définitive. Dans la foulée, Drahi avale Libération, puis L’Express et L’Expansion et, en décembre, le gros morceau  : NextRadioTV, c’est‑à‑dire RMC et BFM. En deux ans, à peine, Drahi s’est bâti un empire médiatique, avec des hebdos, télés, radios rassemblés dans Altice Media Group, que dirige Bernard Mourad. La nouvelle formule de L’Express aura pour couv’ Emmanuel Macron. Et Bernard Mourad rejoindra l’équipe de campagne du candidat Macron, avec le rôle officieux de directeur de campagne...

Bernard Arnault (2016)

Xavier Niel a pour compagne Delphine Arnault, fille de Bernard. Le monde est petit, chez les grands fauves  : «  Début 2016, les Macron, il est vrai, dînaient chaque semaine, ou presque, chez Bernard Arnault, propriétaire de LVMH.  » C’est une biographie glamour, Les Macron, qui nous apprend ça. Bernard Arnault, propriétaire, également, du Parisien et des Échos. Et aussi principal actionnaire de Carrefour, financeur de L’Opinion, de l’institut de sondage Odoxa. Donc, «  chaque semaine, ou presque  », le ministre de l’économie de l’époque, bientôt candidat à l’élection présidentielle, futur chef de l’état, dîne chez l’homme le plus riche de France. Chez la quatrième fortune mondiale. Et bavarde de quoi  ? Sans doute de chiffons  ? Ou de Frédéric et Jean, les fils jumeaux de Bernard, dont Brigitte fut la professeure de français au lycée Saint‑Jean de Gonzague  ? Mais sûrement pas de politique, ah non, ça non, sûrement pas de la campagne à financer, sûrement pas des journalistes à attendrir, encore moins de l’Impôt sur la fortune, de la flat tax, de l’exit tax, de ces bassesses…

Vincent Bolloré (2016)

Dès le printemps 2016, le quotidien suisse Le Temps nous alerte  : «  Havas Worldwide s’occupe de faire d’Emmanuel Macron le people politique incontournable.  » Havas, c’est la pub et la communication, et c’est Vincent Bolloré, «  un de ces entrepreneurs dont la France a besoin  », comme dit Macron. Enfin, surtout lui, d’ailleurs. Parce que Bolloré, c’est aussi Canal +, C8, C‑Star, C‑News, Europe 1. Alors, comme ministre, Macron inaugure son usine d’autobus électriques. Lui garantit, avant tout appel d’offres, que la RATP lui achètera ses Bluebus à 500 000 € pièce. Se lie avec le fiston Yannick, patron de Havas, justement, et présent au premier meeting du fondateur d’En Marche  !, le 12 juillet 2016. En retour, le pharaonique déplacement du ministre‑candidat au salon de la French Tech de Vegas est attribué à Havas, sans appel d’offres (ce qui vaudra des poursuites pour «  favoritisme  »). Et c’est en fait Havas‑Bolloré qui la mènent, bénévolement, cette campagne, jusqu’à déléguer leur hommes auprès du Macron candidat ou président.

C’est Ismaël Emélien, ancien d’Havas, conseiller spécial de Macron, en campagne comme à l’élysée. C’est Adrien Taquet, ancien d’Havas, secrétaire d’état en charge de l’Enfance. C’est Mounir Mahjoubi, ancien d’Havas, futur secrétaire d’état au numérique. C’est Anne‑Sophie Bradelle, ancienne d’Havas, devenue conseillère pour la communication internationale du Président. Et quand il n’y a plus de place auprès de Macron, on sature les ministères ou les officines de ces Havas boys (and girls)  : Mayada Boulos, ancienne numéro 2 d’Havas, devient la responsable communication du Premier ministre Jean Castex. Catherine Doumid, ancienne d’Havas, rejoint le cabinet du ministre de l’action et des comptes publics, Gérald Darmanin. Véronique Le Goff, ancienne d’Havas, est nommée conseillère communication et presse du ministre des Affaires étrangères. Anne Descamps, ancienne d’Havas, dirige désormais la communication de La République en marche… On arrête là  : la liste est trop longue de cette colonisation de l’état.