Première publication avant mise à jour le 18 novembre 2024
Contre le Mercosur, le projet de traité de libre-échange entre l’Union européenne et les pays du Mercosur, les tracteurs sont à nouveau de sortie. L’ensemble des syndicats agricoles appellent à un mouvement social d’ampleur dans le pays, au moment où les membres du G20 se réunissent au Brésil. Et si on parlait protectionnisme, pour enrayer cette folie sociale et écologique ?
Amiens, 18 novembre 2024. « Bruxelles, tes agriculteurs crèvent ! Halte au libre-échange ! ». Ce lundi matin, en descendant du train, les tracteurs arrivaient déjà dans le centre-ville d’Amiens. Dès dimanche soir, ils commençaient à perturber la circulation automobile en Île-de-France. « Macron, si tu vas à Rio, n’oublie pas tes péquenots ! ». L’ensemble des syndicats agricoles appellent à un mouvement social d’ampleur dans le pays, à des manifestations et des blocages sur tout le territoire à partir de ce lundi, au moment où les membres du G20 se réunissent au Brésil. L’objectif premier : manifester leur opposition au traité de libre-échange avec le Mercosur (qui regroupe Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay et Bolivie). Le Mercosur, vous vous souvenez ? C’est vrai que ça remonte : créé en 1991, le Mercosur, abréviation du « marché commun du sud » (Mercado Comun del Sur, ndlr), est une zone de libre-échange qui rassemble cinq pays : le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay, le Paraguay, et depuis 2023, la Bolivie. Pays auxquels l’Union européenne (UE) veut s’associer pour accroître ses échanges commerciaux.
"La merde d’ailleurs, c’est pas possible."
Le projet entre l’UE et le Mercosur n’est pas, lui non plus, tout jeune. Les discussions ont débuté en… 1999. L’idée : supprimer la majorité des droits de douane entre les deux zones, créer un espace de plus de 700 millions de consommateurs. L’objectif : permettre aux pays sud-américains d’exporter vers l’UE de la viande, beaucoup de viande, du sucre, du riz, du miel, du soja. Et, « en échange », permettre aux pays de l’UE d’exporter des voitures, beaucoup de voitures, des machines, des produits pharmaceutiques, etc. D’où le surnom du traité : « viandes contre voitures ». Mais, après un « accord politique » en 2019 entre les pays du Mercosur et de l’UE, l’opposition de plusieurs pays a bloqué l’adoption définitive du traité.
« On veut rappeler que cet accord est mauvais », il est agriculteur Bio, Romain. Du coup, forcément, le Mercosur, il n’en veut pas, c’est pour ça qu’il est descendu fouler les pavés d’Amiens. Derrière son tracteur, il enfile un t-shirt blanc aux écritures noires « Fiers de vous nourrir ». « Ce traité sacrifie l’agriculture européenne, française, par l’importation de produits qui n’ont pas les mêmes normes que nous. Il en faut de l’importation, mais on ne peut pas importer de la merde d’ailleurs, c’est pas possible. Ce n’est pas du tout les mêmes normes environnementales, c’est les poulets au chlore, les bœufs aux hormones, les OGM. C’est vraiment de la concurrence déloyale, on ne peut pas s’aligner en prix. On ne demande pas des primes, on demande que le marché soit stabilisé et d’être payé de nos productions. »
De l’autre côté du trottoir, avec son bonnet vert et son manteau jaune fluorescent, on ne peut pas le rater Stéphane, lui aussi céréalier. « Il nous faudrait des garanties de prix. Le problème aujourd’hui c’est qu’on est sur des marchés mondiaux et le marché mondial ne tient pas compte des charges françaises et européennes. Et puis, on a importé deux millions de tonnes de sucre ukrainien, alors aujourd’hui, les sucreries nous signalent qu’elles vont baisser nos prix de paiement parce qu’on est en surproduction. C’est la même chose pour les céréales et le poulet. »
« Absurde ! »
« Nous refusons d’ouvrir les marchés européens à du poulet dopé aux antibiotiques, à du bœuf élevé sur fond de déforestation, au maïs traité à l’atrazine… » s’alarment ce 4 novembre plus de deux cents députés de tous bords, appelant le gouvernement à faire preuve de « courage » pour bloquer ce traité « absurde ». Fait suffisamment rare pour être souligné : en France, le Mercosur fait l’unanimité, mais contre lui. Ce sont même plus de six cents parlementaires français qui ont écrit à Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, pour manifester le désaccord de la France. Problème : l’Allemagne et l’Espagne poussent en faveur du traité. Pourquoi ? Parce que le gouvernement du Premier ministre socialiste Pedro Sanchez rêve d’exporter vin et huile d’olive aux 700 millions de consommateurs sud-américains. Berlin y voit de son côté de nouveaux débouchés pour ses automobiles, les droits de douane étant jusqu’alors particulièrement élevés sur les voitures particulières (35 %). La France, comme d’autres pays européens, notamment la Pologne, serait le dindon de la farce.
« L’élevage français ne sera pas concurrentiel par rapport à l’élevage brésilien », avertit l’économiste Maxime Combes. C’est que le traité prévoit la suppression de tous les droits de douane sur quelque 60 000 tonnes de viandes importées du Mercosur. Le grand danger : un raz-de-marée, une déferlante de viande en provenance de fermes usines géantes brésiliennes et argentines, sans respecter les normes sanitaires européennes. Noyer nos agriculteurs dans un tsunami de viandes sud-américaines. Maxime Combes : « Le prix de la terre y est abordable, le climat favorable à une production abondante, le coût de la main-d’œuvre est très faible et les normes moins strictes. Il y a une difficulté réelle à suivre chaque carcasse de viande : on ne sait pas tracer. » Et au-delà du Mercosur, la question des revenus, qui avait provoqué le soulèvement des agriculteurs en janvier et février, est toujours sur la table. Selon l’Insee, 18 % des ménages agricoles vivent sous le seuil de pauvreté. Chez les éleveurs bovins, particulièrement menacés par le Mercosur, le niveau de vie annuel médian est de 18 420 euros. Et de seulement 659 euros par mois pour survivre pour le premier décile.
"Folie sociale, écologique, économique."
Autre danger : pour la planète. L’augmentation du commerce entraîne une hausse de la production, notamment orientée vers l’exportation, et, par conséquent, des émissions de gaz à effet de serre. Des marchandises qui feraient le tour de la planète avant d’arriver dans nos assiettes. Plutôt que de venir de nos agriculteurs en circuit-court. Produire plus de viande bovine, c’est forcément défricher davantage de terres encore – en Amazonie entre autres, et donc ravager la biodiversité, et aggraver encore le dérèglement climatique. Maxime Combes souligne lui que « cet accord encourage l’industrie automobile européenne à maintenir le statu quo et à continuer d’espérer vendre ses véhicules thermiques polluants en Amérique latine ».
Bref : l’accord UE-Mercosur, c’est encourager les pratiques économiques, écologiques et sociales les plus nocives, dans chacune des deux régions. C’est un danger sur la santé de nos concitoyens. C’est un fardeau de plus pour des agriculteurs français déjà exsangues, et c’est une planète qu’on lamine. Un traité qui n’a aucun sens, finalement, à part celui d’accumuler un peu plus de profit encore entre quelques mains, et de répondre à une idéologie mortifère, celle du libre-échange et du laisser-faire. Alors, à la place, que faire ? Chez Fakir, voilà des années, qu’on documente les effets dévastateurs de ce type de traités. Car le Mercosur n’est que le petit dernier d’une longue série de monstres enfantés par le libre-échange : Ceta, Tafta, Jefta, les acronymes changent, mais les choix restent les mêmes. Que n’a-t-on entendu quand on osait avancer le terme de « protectionnisme », de relever les droits de douanes, pour faire respecter les normes environnementales et sociales, y compris lorsque Macron signait à tour de bras des traités commerciaux un peu partout sur la planète… Maintenant que les agriculteurs sont convaincus à leur tour du bien-fondé du principe, il serait bon que nos politiques mettent leur logiciel à jour, eux aussi. Sinon, le pire est à venir.
« On est en train de perdre notre souveraineté alimentaire. »
Picquigny, 6 décembre 2024.
Bertrand, éleveur et maraîcher à Picquigny, 58 ans, est sacrément remonté après l’annonce par la présidente de l’Union européenne, Ursula Von Der Leyen, de la finalisation des négociations. « En tant que paysan, j’en ai marre de me battre pour alimenter des gens qui n’en ont rien à foutre. Tant que les politiques n’auront pas compris qu’il faut se battre pour les agriculteurs français, la sécurité alimentaire de sa population, on sera mal barrés. Je vais vous dire une chose : on est de moins en moins autonome du point de vue alimentaire. On est en train de perdre notre souveraineté alimentaire. Mais si on est dépendant de l’autre bout du monde, et bah les prix ne vont faire qu’augmenter. La question du Mercosur c’est : on importe tout et n’importe quoi, mais pas cher ? Ou bien on fait ici, bien, sur nos terres, mais plus cher ? Les poulets à cinq euros, bourrés aux hormones, nous aussi on peut les faire, pas de problème ! Faut savoir ce qu’on veut !
Si je pouvais me mettre uniquement en panneaux solaires, je le ferai, avec plaisir. Mais je ne pourrais pas nourrir les gens. Ce serait trop cher pour eux. La question c’est ça : est-ce qu’on doit répondre à ce que les gens veulent, en rêve, ou à ce que les gens achètent, dans la réalité ? Les gens préfèrent acheter du poulet d’Argentine moins cher ? Et bah bientôt vous devrez vous débrouiller pour manger ! Vous voulez des ananas et des cerises à Noël ? Moi c’est ça qui me choque un peu des fois, les gens ne regardent pas d’où ça vient la bouffe dans leur assiette. Faut juste qu’on se mette d’accord pour que la norme soit la même pour tout le monde. Et que ça change pas toutes les cinq minutes. Que ça soit pas le loto, nous c’est des projets de vies, c’est nos vies, on joue pas. On a besoin d’une vision de long terme. »