Après la gestion catastrophique de l’hiver dernier, le gouvernement avait promis un traitement miracle pour mater la bronchiolite à la rentrée. Mais quand ma fille de deux mois l’a chopée...
“Mieux vaut ne pas l'attraper…”

Caen, 30 novembre 2023.
« Mets les warnings !
— On est qu’à cinq minutes du CHU, ça va aller...
— Je m’en fous, mets les warnings, j’te dis ! »
À 150 sur la nationale, ce soir de novembre, on n’en menait pas large, ma compagne et moi, avec notre bébé de deux mois à l’arrière de la bagnole. « Je l’entends plus, elle respire ? » Quelques minutes plus tôt, chez le généraliste, le diagnostic était tombé : « C’est la bronchiolite, on est en plein pic. Rien qu’aujourd’hui, j’en suis à mon sixième bébé avec la bronchio. Votre fille, elle est à un stade modéré, pas sévère, mais il faut vite aller aux urgences pédiatriques. Et je préfère vous prévenir : à son âge, ils vont sûrement la garder cette nuit... »
En sortant du cabinet, la panique monte d’un coup. Aller chercher les affaires de la petite pour la nuit, et aussi celles de l’aînée qui va dormir chez les grands-parents, les prévenir qu’on arrive... Deux heures plus tard, au CHU, la tension est palpable. Cinq-six couples de parents attendent devant nous. Ici comme partout, le désert médical complique tout. Au guichet, une maman s’excuse : « Je veux pas engorger les urgences, mais ma fille de 18 mois tousse à en vomir depuis trois jours et on n’arrive pas à avoir de rendez-vous chez le médecin... » Quand vient notre tour, la standardiste ne perd pas de temps avec les questions. Elle a dû être briefée pour la bronchio. Pareil pour l’infirmière qui vient nous chercher au bout de quelques minutes seulement. On doit être prioritaires. C’est pas bon signe...
Dans la salle d’examen, l’interne trouve que notre fille force avec le ventre pour respirer. Elle appelle la pédiatre pour un contre-avis.
« Sa respiration est normale, vous pouvez rentrer chez vous, calcule la titulaire.
— Vous êtes sûre ?
— Oui. Y a pas de traitement contre la bronchiolite. Ici, on peut mettre les bébés sous aide respiratoire, et même les intuber s’ils n’arrivent plus à s’alimenter, mais rien de plus.
— Mais on doit faire quoi pour qu’elle guérisse, alors ?
— Pas grand-chose. Faites des lavages de nez avant chaque biberon pour qu’elle puisse continuer à s’alimenter, et surveillez sa respiration. Les premiers jours, ça peut vite dégénérer. Si vous voyez qu’elle commence à avoir du mal à respirer, revenez immédiatement. »
Ben nous voilà rassurés, avec ça...
En sortant de la pièce, je remarque sur les murs des affiches sur la bronchiolite, justement. Sur l’une d’elles, je lis : « Protéger mon bébé de la bronchiolite à VRS, c’est possible avec le Beyfortus ». On rit jaune. Le Beyfortus, c’est le nouveau traitement censé immuniser contre le virus respiratoire synticial (VRS), à l’origine de 80 % des bronchiolites. Au milieu de l’été, Aurélien Rousseau, à peine nommé à la Santé, en faisait des caisses sur cette « avancée majeure » pour la santé des bébés. Dans son communiqué, le ministre promettait des doses « à l’ensemble des nouveaux-nés et nourrissons au cours de leur première année d’exposition ». Encore mieux : elles seraient disponibles partout dès la rentrée dans les maternités, pharmacies et cabinets médicaux. Il fallait bien ça pour faire oublier le triste record de l’hiver précédent : 73 262 passages aux urgences, 26 104 hospitalisations et 62 bébés transférés vers les hôpitaux de province faute de lits disponibles en Île-de-France. Sauf qu’avec Sanofi et AstraZeneca aux commandes, l’opération a tourné court. Dix jours seulement après le lancement du Beyfortus, la France était déjà en rupture de stock.
À la maternité, la pédiatre nous annonce la nouvelle : « On est à court depuis une semaine. Je vous mets sur liste d’attente, mais préparez-vous à ne pas en avoir. On nous dit tous les jours qu’on sera réapprovisionnés le lendemain, et ça ne vient jamais. » Les jours, les semaines passent, et toujours pas d’appel de la maternité. Avec notre aînée qui ramène tous les virus de l’école, on commence à s’inquiéter. Au bout d’un mois, je viens aux infos. « Si on ne vous a pas encore appelés, c’est qu’on n’est pas encore arrivés à votre nom sur la liste. » Quelques jours plus tard, le pharmacien m’explique, un peu gêné, un peu fâché. « Les fabricants n’ont pas prévu le stock suffisant. Ils s’attendaient à ce que 25 % des parents acceptent, et c’est plutôt du 60 ou 70 %... » Les 200 000 doses livrées par les labos sont donc parties en un éclair, et seules 50 000 supplémentaires ont été produites pendant l’automne. Ça se paie, un jour ou l’autre, de ne rien planifier, tout en fermant les sites de production en France… « Ces doses, elles sont réservées aux nourrissons les plus vulnérables, les prématurés, ceux qui peuvent développer les formes graves de bronchiolite, nous confie notre pédiatre.
— Et pour les autres ?
— Ben… mieux vaut ne pas l’attraper… » Début décembre, toutes les régions de France métropolitaine sauf la Corse avaient atteint le stade épidémique.
Et dire que le gouvernement avait un plan...