n° 103  

Les petites mains : nos États très généraux

Par Le SPMF, syndicat des petites mains de fakiriennes |

On veut bien la faire, nous, la révolution.
Mais au pied du mur, c’est plus compliqué...


« Un peu de silence, s’il vous plaît. Si nous sommes réunis ici, autour de cette table, c’est pour formuler des doléances en vue…
—  Enfin, c’est parce que c’est l’heure du repas et qu’on a faim, surtout.
—  D’ailleurs, c’est décompté du temps de travail ? Parce que normalement, c’est une pause, le repas.
—  Non mais on peut pas se concentrer cinq minutes ? Je reprends : on doit, donc, formuler des doléances pour le nouveau directeur…
— … ou directrice. »

L’audit de Fakir, premier du nom, l’avait pointé : ce serait bien que le canard embauche un directeur (ou une directrice, donc) pour « éviter les flottements » entre deux coups de bourre. Qu’on ne s’endorme pas trop sur nos lauriers, en somme ! Rien que ça ! Du coup, on a pris les devants : accueillir le nouveau dirlo avec nos revendications, direct. Marquer notre terrain, d’entrée de jeu, histoire qu’on parte tous ensemble du bon pied.

Mais nos états généraux des Petites mains avaient du mal à démarrer.
« Donc, je disais, il faut qu’on marque une rupture claire, franche, et qu’on profite…
— Tu me passes le pain, s’te plaît ?
— … qu’on profite de l’occasion pour rompre avec les habitudes de pingrerie et de rationnement instaurées par Ruffin. J’ai fait une liste  : on pourrait réclamer des tickets resto.
— On bouffe déjà à l’œil, c’est payé par la boîte. Et manger à côté, franchement, ce sera moins bon que ce que nous prépare Fabien...
—  Un nouveau canapé-lit pour les nuits de bouclage ! L’ancien, tout pété, c’est plus possible.
—  Ben j’en amène justement un de chez moi demain... »

Aline, la dernière arrivée, a timidement levé la main.
« J’ai bien quelques idées… Un kit pour faire le ménage dans le bureau du haut parce que vraiment, la poussière s’entasse, y a des tasses et des cendriers abandonnés dans la gouttière... »
Tout le monde s’est regardé, surpris.
« Demander moins de bordel dans nos locaux, c’est trop extrême...
—  Mais on a quoi à réclamer, alors ?
—  Le jacuzzi !
—  Aaaah ! Le nouveau, il arrive avec une dot, en quelque sorte : notre jacuzzi.
—  Voilà. J’avais imaginé un modèle bleu avec lumières intégrées.
—  Pour qu’on s’électrocute ?
—  En rose, ce serait plus sympa, non ? Ou vert émeraude ?
—  Bon, bon, on verra. On le met au premier étage ?
—  Réfléchis, le plancher va s’écrouler…
—  C’est vrai, merde… Au rez-de-chaussée, alors.
—  Ben non, c’est là qu’on fait les envois avec les bénévoles. Ils vont pas avoir droit eux aussi au jacuzzi, quand même ? »

On n’y arrivait décidément pas.
« Non mais vous êtes sérieux ? Des années à lutter contre la tyrannie de Ruffin, un directeur général arrive, et on n’est même pas capables de lui présenter une liste de doléances cohérentes ? On n’avait rien à réclamer, en fait ?
—  Peut-être que Ruffin a une idée, on pourrait lui demander… »

C’était mal barré, cette affaire…