n° 112  

Nos lecteurs sont les meilleurs ! (n°112)

Par L'équipe de Fakir |

Le courrier des lectrices et des lecteurs reçu et traité par notre bénévole Nicole.
Nous écrire : courrier@fakirpresse.info


Bridgestone, un drame intérieur

De F., mars 2024 (extraits).

Béthune, c’est Firestone puis Bridgestone, leader mondial du pneumatique. Ouverture de l’usine en 1961, fermeture le 30 avril 2021.
J’ai vécu ce drame de l’intérieur : je suis professionnelle de santé et j’ai accompagné le plan de licenciement. Firestone-Bridgestone c’était toute une vie, 60 ans, plusieurs générations, la famille, un demi-siècle de travailleurs Béthunois qui se sont succédé, grands-pères, pères, fils, petits-fils parfois, cousins, neveux.
Bridgestone, c’était la famille.
Bridgestone, c’était la région.
Le couperet est tombé le 16 septembre 2020, froidement. Beaucoup m’ont raconté la violence de l’annonce, sa froideur, une annonce 2.0. par clé USB sur des écrans d’ordinateurs géants retransmis dans toute l’usine. Puis symboliquement, les salariés ont planté des croix devant leur usine, leur propre enterrement, que beaucoup n’espéraient pas prémonitoire... 863 croix. L’avenir serait funeste.

Depuis, plus de deux ans se sont écoulés.
Les deux silos de l’usine qui faisaient partie du panorama de la région, à l’égal des terrils, ont été démontés. Les traces de la vie passée s’effacent peu à peu dans le paysage, il restera les corps meurtris par le travail. J’ai appris, pour beaucoup, la galère, les nouveaux boulots avortés, le chômage, les divorces, les problèmes qui s’enchaînent, la maladie qui survient, la mort, le suicide, l’incertitude, l’inactivité, l’alcoolisme, la maladie, le désespoir, la solitude, l’errance...
L’autre vie sans l’usine.

Ce dont je suis sûre, c’est que tous ressentent et ressentiront encore longtemps et toujours ce vide, cette absence dans laquelle leur regard plonge parfois, cette blessure qui jamais ne se refermera, celle de 863 hommes qui ont perdu leur travail.
à Bruno qui n’a malheureusement pas survécu à ce drame, et à ses 862 camarades.

Jusque dans les chiottes !

De Nicolas, Le 11 Mars 2024.

Ce matin, je m’arrête acheter mon journal chez mon kiosquier. Mal réveillé, comme d’habitude, je ne trouve pas l’hebdo en question. Il m’indique où il se trouve, m’expliquant que si ça tenait à lui, il le positionnerait ailleurs. Je m’étonne : ce n’est donc pas lui qui décide de l’emplacement des journaux ?
Un peu gêné, il me dit « c’est mon patron » et pointe quelque chose du doigt en hauteur. « Vous voyez là, c’est une caméra, et là aussi il y en a une autre, et il me regarde et il décide », m’explique-t-il en substance. On avait déjà parlé tous les deux de ses conditions de travail et du peu d’argent qu’il gagnait malgré des horaires à rallonge. Mais, en plus, se faire fliquer !, je m’insurge.
Et là, il poursuit : « Heureusement, je peux aller aux toilettes tranquillement. Là, derrière la petite porte, ce sont les toilettes. Il a voulu mettre une caméra à l’intérieur mais je lui ai dit non, que sinon je me tirais. Et puis, si j’étais une femme, il ferait comment ? Il a fait marche arrière, mais bon. »
Je suis resté sans voix. Une caméra dans les chiottes ! Il ne veut pas lui mettre une puce aussi ? Je lui ai demandé qui était son patron, quel profit... Il m’a juste dit qu’il détenait 2 - 3 kiosques, mais s’en est tenu là. On s’est salués. J’ai pris mon métro, écœuré. Pire, inquiet. Car à un moment, j’ai fait le malin, j’ai fait coucou à la caméra. Ça l’a fait marrer mais si le fameux patron-voyeur m’a vu, est-ce qu’il va aller voir mon copain kiosquier ? Est-ce qu’il va l’engueuler ? Le virer ?

Un Fakir "ados" ?

De Romain, le 13 mars 2024.
En lisant le numéro de mars-avril une question me vient à l’esprit, après m’être plus tôt dans la semaine pris les pieds dans le tapis en expliquant à mon fils de 16 ans ce que sont les crypto monnaies. Un exemple parmi d’autres, mais finalement ça arrive régulièrement : les retraites, l’allocation chômage, le CAC40, les inégalités et le reste, tous ces sujets que j’aimerais tant qu’il puisse aussi découvrir sous l’angle fakirien. Alors, à quand une édition ado ? Un hors-série ado ?
Une page ado dans vos numéros pour assurer la transmission ?

Prêt pour vous accompagner en toute modestie dans cette création, pour le jour où vous vous lancez. J’ai quand même une grande expérience puisque je suis rédac’ chef chaque jour du grand récit familial raconté à mes enfants à table, entre le fromage et le dessert, au grand désespoir de celle qui partage ma vie...

La palme du fayot

Pour décrocher le Grand prix de la Lèche, c’est le printemps des poètes, ce mois-ci !
Ainsi de Dimitri (Altenach, 63), qui file la métaphore : « Cela fait trois ans déjà. Je me souviens qu’on me parlait de toi. Après une longue période d’abstinence suite à une rupture avec un autre journal, je ne voulais plus m’engager. Je t’ai découvert, doucement la première fois, mais au bout de quelques pages, c’était le coup de foudre… » La suite restera du domaine privé.
Hélène, de Saint-Germain du Salembre (24), a ému le jury : « Votre journal (…) parle de nous, nos vies en vrai, cabossées par les nuisances invisibles d’un système complètement fou. Ça fait du bien de les voir mises en lumière. Un grand merci. » De rien, de rien, Hélène, mais enfin, les mercis n’ont jamais rempli la marmite !
Liliane, elle, nous trouve « formidables » : « Continuez, nous avons tellement besoin de gens comme vous pour essayer d’y croire un peu, à une vie meilleure »... Et elle met Fakir dans son hall d’immeuble pour « inciter les voisins à le lire et à le faire circuler ». Et à l’acheter, on espère !

On en était là, un peu sur notre faim, quand on a ouvert le dernier courrier de l’immense pile recouvrant le bureau. Et c’est là, la main tremblante, qu’on a lu la prose de Simone, de Cormeilles-en-Parisis (95) : « Je suis bénévole à l’épicerie sociale de ma ville. Nous collectons les produits dans les supérettes du coin. Casino nous en refile régulièrement à date dépassée, donc invendables, mais qui sont probablement comptabilisés dans la bonne colonne... PS : Je vous prie de trouver ci-joint un chèque pour un abonnement à vie. »
Un abonnement à vie ! Et une info ! De la nourriture intellectuelle et matérielle, en un même envoi !
La voilà, notre Fayotte du mois !