Le courrier des lectrices et des lecteurs reçu et traité par notre bénévole Nicole.
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Nos lecteurs sont les meilleurs ! (n°99)
Je couche avec beaucoup d’hommes !
De Julien, Arles (13), par courrier.
Madame, Monsieur,
Madame L. m’apprend à l’instant qu’il faut justifier de notre non relation. En effet, sous le coup d’un contrôle CAF (artisan dans le textile recyclé, elle touche un complément de revenu et un peu d’aide au logement) elle doit prouver que nous ne sommes pas ensemble puisque, chose incroyable, en tant qu’ami je lui ai prêté 5000 €. […] Mais cet acte de générosité vous paraît louche puisque vous l’annoncez : « Après étude de tous les documents et investigations auprès des partenaires et enquête voisinage il ressort que monsieur J. est votre compagnon depuis plusieurs années. Pour la CAF, même si vous n’avez pas de domicile commun il y a vie commune. » Nous ne vivons pas ensemble. Nous ne sommes ni pacsés ni ne partageons à aucun moment la moindre facture. Et ça va vous surprendre mais nous ne couchons pas ensemble non plus. Je ne vois pas bien ce qui pourrait alors nous lier. À part un profond respect, mais la CAF a‑t‑elle autorité pour juger des affaires amicales ?
Puisque nous en sommes là, je vais répondre à vos questions : j’ai eu plusieurs relations sexuelles avec Mlle E. résidant désormais en Haute‑Savoie, en 2019 (elle pourra si je lui demande vous le confirmer). J’ai eu également une relation avec Mlle S. résidant à Arles, qui pourra sans doute aussi vous dire que nous nous sommes fréquentés. L’une comme l’autre étaient ce qu’on appelle vulgairement des plans cul et à part des restos je ne leur ai jamais rien payé (au cas où vous voudriez aussi les contrôler). Mais pour être honnête avec vous, pas plus ces deux personnes que L. ou que mon ex C. ne m’apportaient satisfaction puisque (vous pourrez le rentrer dans vos fichiers pour le jour où ça redeviendra un crime) je suis homosexuel. Je couche avec des hommes, beaucoup, beaucoup trop, mais rassurez‑vous je me protège et je n’ai ni le sida ni le Covid.
Comme vous ne me croirez sans doute pas sur parole vous trouverez des conversations avec ma tronche sur Grindr, l’appli pour les gens comme moi. Comme vous semblez fascinés par les secrets d’alcôve je suis désolé de ne pouvoir vous fournir de photo plus précise car je crains que la vue du sexe de mes mecs ne vous apparaisse comme offensant. J’espère que cela suffira à ce que vous laissiez madame L. tranquille et qu’il ne vous faudra pas comme preuve mon coming‑out sur Facebook.
Je ne vous salue pas.
Fakir, mieux que ton psy !
De Florence, par courriel, le 2 juin.
Bonjour Fakir,
Aujourd’hui, je suis rentrée du travail très énervée et pour m’éviter une séance de psy à 45 €, j’ai écrit en pensant à toi. Fakir, ça vaut une séance de psy ! Merci ! […] Dix ans que je travaille dans l’administration, avec sa dégradation managériale de merde, ses gestions de ressources humaines empruntées
à des caricatures googlisées de la modernité des rapports humains dans le travail. Des pions, nous sommes des pions, je suis ce pion que l’on déplace, un coup ici, un coup là, un coup en espace partagé, un coup en bureau individuel, un coup en télétravail, un coup en présentiel, sans préavis, parce qu’on s’adapte. Et puis par mail alors que nous sommes à deux pas l’un de l’autre, tout se fera via cette machine qui permet cette neutre numérisation des rapports. L’être humain n’a trouvé d’autre réponse, dans son immense connerie, à la loi de la vie, que de la compliquer un peu plus avec ses papiers, ses conventions, ses projets cadres, ces heures passées pour tous ces gratte‑papiers à travailler à une logique nébuleuse et uniquement technocratique qui n’aboutit à rien, ou si, à justifier un final pathétique...
Parce qu’à la fin quoi ? Je ne fais pas pousser des légumes, je ne rends pas le monde meilleur, je n’aide pas les autres. Et c’est moi qui paye, avec mon salaire de 1400 €, pour que la psy m’aide là où mon travail m’enfonce.
Et moi, j’ai jamais voulu ça, avec ma tête pleine de rêves et d’imagination, ce petit travail mesquin qui rend le monde autour de moi mesquin, et mes collègues et moi‑même mesquins, parce qu’on ne peut ressortir de là qu’enlaidi, parce que cette manière de faire, ça réduit une humanité à une fonction exécutive proche du robot. Ça rétrécit le cerveau, ça le lyophilise.
Pas tous les mêmes enfants ?
De Guislaine, par courriel, le 2 juin.
Je suis assistante familiale et je ne décolère pas au sujet de l’accueil fait chez un opticien
pour une petite qui m’est confiée.
Lorsque nous avons dit que c’était une attestation CMU et que nous nous dirigions tout naturellement vers les lunettes des enfants, on nous a signalé que ce n’était pas ces paires-là et on nous a présenté une boîte de chaussures avec quelques paires dedans. Et la vendeuse nous a laissées en plan. Je pense que, devant mon désarroi et ma colère qui montait, elle nous en a sorti une autre. J’ai ressenti une humiliation vis-à-vis de la petite et je n’ai rien osé dire devant elle. J’ai compris alors ce que vivaient les gens qui n’ont pas les moyens, qui sont pauvres financièrement, et le mépris que certains leur réservent…
La Palme du fayot
« Bonjour Fakir, j’ai pris connaissance du concours de lèche et je souhaiterais y participer. » Pierre, au moins, ne fait pas mystère de ses intentions. « La rumeur publique ne vous est pourtant pas très favorable… » Ça commence mal, et ça ne s’améliore pas quand Pierre se lance dans une série d’arguments mêlant Robespierre, Marcel le Gilet jaune, l’Olympe, Marie-Antoinette et un hérisson, et des jeux de mots bizarres. Éliminé ! Quelle leçon en retenir ? Droit au but ! Prenez Renaud, par exemple : « Alors là, si avec ça je ne gagne pas, c’est que la concurrence est rude ! » Et de nous offrir un poème dans la foulée.
« François rue dans les brancards
Pour l’usine et l’hôpital
Il porte bien haut l’étendard
Contre le grand Capital
Il rue toujours avec finesse
Pour la veuve et l’orphelin
Contre les grandes richesses
Oui toujours François rue fin. »
Au moins, ça aura fait marrer notre jury. Mais que veux-tu, Renaud, la poésie n’a jamais nourri son homme – demande à Baudelaire…
Les époux Bernard, « deux Gaulois réfractaires » de Mas-Saint-Chély (48), eux, ne se posent pas de questions existentielles : un chèque de 1050 € ! « Nous sommes des retraités vivant sobrement en pleine campagne (à peine un habitant et demi au km2 !). Les commerces étant à plus de 30 km, nous ne connaissons que notre sympathique épicier ambulant. De toute façon nous ne supportons pas d’être bâillonnés ! Ce fichu virus et le dictateur nous ont fait faire de grandes économies ! Profitez-en bien ! » Et voilà qu’ils nous glissent, donc, dans l’enveloppe, leur chèque ! Le seul argument auquel notre jury est sensible. Les voilà, nos rois de la Lèche !