n° 112  

Nous : notre assurance journalistique

Par Cyril Pocréaux |

Qu’aurions-nous à raconter, sans les gens et ce qu’ils nous apprennent depuis vingt-cinq ans ?


« Alors, qu’est-ce qu’on a déjà écrit sur le sujet ? » C’est devenu le grand refrain, chaque jeudi au canard, à l’heure de pondre notre newsletter hebdomadaire*.
« Qu’est-ce qu’on a écrit sur le sujet ? » Pour faire écho à l’actualité, cette « actu » qu’on a toujours regardée de loin, à Fakir, on ne s’appuie pas sur rien. On partage avec vous, à chaque fois, et en accès libre, un ou deux articles de nos archives. Vingt-cinq années de reportages, de paroles, d’enquêtes, des centaines, des milliers peut-être de rencontres. Cette mine d’or, à nos yeux, c’est davantage que le moyen de nourrir notre newsletter* : tout ce qu’on a écrit depuis nos débuts, et ce qu’on écrit encore numéro après numéro, c’est le moyen de s’appuyer sur une réalité. D’ancrer ce qu’on raconte dans le concret, le réel.

Clément, notre (excellent) chargé de com’, me suggérait, récemment, qu’on pourrait pour nourrir notre newsletter commenter l’actualité « à la sauce Fakir ». Pour mieux y coller, nous qui ne sortons (pour l’instant, mais ça va changer) que tous les deux mois et demi, rythme étrange.
Je ne pense pas que commenter suffise. C’est quoi, de fait, la sauce Fakir ? Aller voir les gens, les rencontrer sur le terrain, en reportage, les écouter parler, parler, parler, et noter, noter, noter, pour raconter tout ça dans le journal. Voilà vingt-cinq ans qu’avec François, en grande partie, mais d’autres aussi avec lui, nous avons labouré le terrain, rencontré les ouvriers, les assistantes de vie sociale, les paysans, les profs, des salariés et des précaires, des grévistes, les associations, les syndiqués.
C’est un refuge, les gens, notre assurance journalistique, nos meilleurs éditorialistes : leur parole a toujours les accents du vrai, au final. Chaque fois que je ne sais pas comment faire, comment donner du sens à un article, à un dossier, je vais voir des femmes, des hommes, sur le terrain, et tout s’éclaire, soudain. Il en sort toujours des vies insoupçonnées, des histoires cachées, saisissantes ou formidables.

J’en ai eu une énième, une évidente confirmation encore, sur le chômage : Alexia, Nicolas, Alexandre ou Rosa, demandeurs d’emploi, conseillers, nous en disent plus et mieux que cent experts des plateaux télé. Alors il nous faut lutter, sans cesse, contre cette tentation de ne penser que par nous-mêmes.

Il y a un côté déprimant, peut-être, dans notre travail d’archéologues, chaque semaine, à fouiller nos archives : elles n’ont pas pris une ride. Ce qu’on a constaté alors vaut toujours, pas une virgule ne mériterait d’être changée, souvent. Les problèmes de logement, de boîtes qui ferment, de précaires qu’on écrase, de personnes qu’on broie, le haut qui se gave et le bas qui se serre la ceinture…
Mais il y a le côté optimiste, aussi, entraînant : au milieu des détresses, on entend toujours poindre une combativité, une force face aux difficultés. Une première pierre face à l’indifférence, aller vers l’envie que tout ça change, ne pas s’en accommoder.
Et à la fin, avec les gens, c’est nous qu’on va gagner !

* Je précise, au passage, qu’elle est gratuite, et que vous êtes de plus en plus nombreux à la lire. Alors, pour la recevoir, c’est là : Fakirpresse.info