Fakir fête, pile ces jours‑ci, ses 25 ans.
Un quart de siècle.
On vous refait l’histoire, en partie, sorte d’autocélébration nostalgique, à un moment où votre canard prend encore un nouveau virage. Parce que quoi que nous réserve l’avenir, on restera fiers de nos jours glorieux, ceux des débuts.
Notre quart de siècle !
Par Cyril Pocréaux , Fabian Lemaire
Décembre 1999, parvis de la gare du Nord, à Amiens.
Un jeune homme sort d’une 106 blanche, m’adresse un grand signe de la main, main dans laquelle il tient un journal, et se dirige vers moi. On ne s’est jamais vus, et pourtant il m’évoque ces gens qu’on a l’impression de connaître depuis toujours.
François et son cousin Jérôme viennent à ma rencontre. Le moment est capital : je dois leur remette un document précieux. Un dessin…
Tout ça avait commencé deux ou trois jours auparavant, à l’école de formation des travailleurs sociaux où je poursuis mes études. Une collègue de promo m’offre un nouveau journal, publié à Amiens. Avec un nom bizarre : Fakir.
Je l’ai rapidement lu, avec intérêt, jusqu’à tomber sur une petite annonce :
« Nous on a essayé. C’était pas brillant. Sur nos brouillons, Raymond Barre ressemblait à Miss France. Alors voilà, en gros, si vous avez un joli coup de crayon, si vous avez envie de mordre le monde en riant, si en trois traits de plume vous illustrez l’actu, si vous n’espérez pas gagner beaucoup de ronds, alors contactez François au 03-22-33…. »
Bien décidé à relever le niveau artistique du canard, qui n’était effectivement pas brillant, j’ai appelé depuis une cabine téléphonique, proche de la cathédrale. Une cabine : ce merveilleux outil collectif n’avait pas encore perdu la bataille face à l’individualisme du téléphone portable. Dès le lendemain, donc, le rendez-vous est pris, et je rends mon premier dessin : « On sent la motivation », conclut le rédac’ chef, alors quasiment unique rédacteur du canard (avec, citons-les, ces pionniers, Samy et Nancie Badinga). L’ambition était affichée, dès les premiers numéros : contrer la communication officielle, aller voir derrière la vitrine et les jolis décors, montrer celles et ceux, qu’on ne voyait jamais, qui n’intéressaient personne, mais que la richesse et la vérité des vies rendaient, à nos yeux, incontournables.
Il faut croire que François avait raison, question motivation : le temps a passé, et je ne compte plus les dessins réalisés à ce jour pour ce canard.
Ce soir, dans les combles aménagés de mon domicile, où j’ai installé mon bureau, s’étalent devant moi, sur la table basse, 114 numéros de Fakir.
Songez que, du haut de cette pile prête à se casser la gueule, vingt-cinq ans d’Histoire me contemplent !
Prenons la machine à remonter le temps…
26 novembre 1999 : Fakir naît au monde à Amiens.
À l’approche des fêtes de Noël, va-t-on entonner dans la capitale picarde le chant traditionnel « Il est né le divin enfant » ? Non.
Le ton est rapidement donné, les messages de « félicitations » fusent : « Allez exercer votre métier ailleurs ! », avertit le maire de la ville, Gilles de Robien, visiblement sous le charme. « Des parasites sociaux », des « terroristes journalistiques », des « talibans de l’information », nous assène, plein de bienveillance, l’avocat de l’adjoint aux finances de la ville, lors de notre premier procès, en guise de baptême. Jusqu’à la sentence, qu’on prendra comme un compliment : « Vous êtes presque aussi cons que Serge Halimi ! » se lâche tel directeur d’Université.
Les élites locales n’ont pas l’habitude d’être (un peu) bousculées : ici, pas de Guignols de l’info ou de Canard Enchaîné. Et puis, qui sont ces inconnus, « ces jeunes en mal de publicité » qui viennent perturber le doux ronronnement de la ville, où tous les notables se connaissent et dînent ensemble ?
D’autant plus que le journal est réalisé de bric et de broc, de photocopies, de matériel approximatif. Devant le vieil ordinateur qui rame encore et toujours, François me demande :
« Sous le titre, ça te va si on écrit "Journal fâché avec tout le monde" ?
— Ou presque ! » je réponds, pour tempérer un peu.
Puisque nul n’est prophète en son pays, de bonnes fées venues d’ailleurs se penchent sur notre berceau : les encouragements de Serge Halimi dans le Monde Diplo, une visite de France Culture avec Aline Paillet à la sortie d’un numéro, entre les cakes et les tartes qui accompagnent l’envoi aux abonnés, et puis, tout de même, un court sujet sur France 3 Picardie.
Dans le paysage médiatique local, il ne fallait pas compter sur le JDA (Journal des Amiénois), l’organe municipal de communication, pour réveiller la ville. Le Courrier Picard, l’ancienne coopérative ouvrière rachetée par une banque, s’était quant à lui assoupi. Pire, le journal soutenait un nouveau procès contre nous, mené par son « chef de locale ». Ce dernier n’avait que peu goûté au dessin et textes satiriques que nous lui avions consacrés suite à ses comptes-rendus qui penchaient un peu trop nettement en faveur d’un
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