Le social, l’écologie : personne, désormais, ne peut en faire l’économie dans les discours.
C’est un signe : un basculement, lent mais réel, des consciences.
On a (presque) gagné (la bataille des idées) !
« On a créé plus de postes, et on a permis de donner un statut et d’enlever de la précarité qu’il y avait, justement, dans ce métier d’assistante d’enfant en situation de handicap… » Sur le plateau de France Bleu Normandie (il le répètera sur France Inter), le candidat-président Macron répondait à Nathalie, une AESH, donc, qui l’interpellait. Avant d’ajouter : « C’est une vraie révolution, une vraie réussite de ce quinquennat. Après, on voit certains de nos compatriotes dans ces métiers qui se découragent, qui n’ont pas la foi de Nathalie… » Ça faisait des mois qu’on sillonnait la France, nous, derrière notre député - rédac’ chef, avec Hayat, Sandy et les autres, pour présenter Debout les femmes !, réentendre leurs témoignages, pousser avec elles, quand le gouvernement restait sourd aux propositions de loi ou d’amendements pour améliorer le quotidien de ces métiers du lien, « rejeté – rejeté - rejeté… ». C’est qu’on se trompait : elle avait déjà eu lieu, la « vraie révolution », la « vraie réussite de ce quinquennat ». Ça nous avait échappé… D’ailleurs, pour les sceptiques, le président-candidat rassurait : tout ça, « c’est dans [son] programme », pour le quinquennat qui s’ouvre.
On n’est pas naïfs : Emmanuel Macron n’améliorera pas la vie des AESH, ni des assistantes de vie sociale, ni des femmes de ménage. Ou alors contraint, à la marge, cosmétique, pour faire joli dans le décor. Pas de « révolution » à attendre. On peut même craindre que, désormais débarrassé de cette formalité qu’est l’élection, et sans perspective de pouvoir se représenter, il n’estime qu’il n’a plus à concéder quoi que ce soit. Qu’il n’appuie encore plus sur l’accélérateur, sur le chemin qu’il trace depuis dix ans : taper sur les plus pauvres, privilégier les plus riches. Qu’il ne balance par la fenêtre, au passage, les remords (s’il en a), les pudeurs (s’il en a), les vagues promesses teintées de social et d’écologie ânonnées à l’approche des scrutins. Les temps à venir s’annoncent turbulents, pour les laissés-pour-compte de la Macronie.
Pourtant, on discernerait volontiers, ici,
une lueur d’espoir.
Ce que, au fil des années, des graines ont été semées, dans ce journal et ailleurs, sur le sort des invisibles de notre société, sur l’écologie, ou sur le protectionnisme, des graines qui commencent à sortir de terre. Certes, tout cela s’inscrit dans un temps long, très long, beaucoup trop long pour qui est dans l’urgence, pour qui voit la politique, le vote et tout ce qui en découle comme une impuissance. Mais, au moins, pendant tout ce temps, la bataille des idées fut menée.
Ce ne fut pas toujours simple.
Même dans notre propre camp, on voyait se dresser les oppositions. Le protectionnisme pour lutter contre les effets délétères de la mondialisation ? « Un repli sur soi », du « nationalisme », le « rejet de l’autre ». Le « fascisme » n’était jamais bien loin… L’écologie, elle, était sacrément à la traîne. Arrêter de rouler à tombeau ouvert vers le gouffre ? C’est là une « écologie punitive » de « Khmers verts », « destructrice d’emplois »…
Les Gilets jaunes, puis la crise sanitaire, ont été des coups d’accélérateur de l’histoire. Le social, l’hôpital, la santé, les fins de mois, les bas salaires, les invisibles, tout cela a fait irruption sur la scène, désormais thèmes majeurs – à défaut d’être centraux.
« Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner à d’autres est une folie », entendra-t-on même Emmanuel Macron marteler. Côté écologie ? Au fil des inondations, des sécheresses et des incendies, grâce, aussi, surtout, à ceux qui longtemps prêchèrent dans le désert, on y vient, peu à peu : personne, même les tartuffes de la cause, ne peut aujourd’hui en faire l’économie dans ses discours. Rappelez-vous : voilà cinq ans, seulement, pas un mot, ou si peu, sur le sujet.
Que nous promettait-on, comme débats, à l’aube de la campagne présidentielle, cette fois ?
Zemmour et ses obsessions. Qu’on mesure le progrès : les candidats ont surtout dû plancher, tous, sur le « pouvoir d’achat ». (Précisons, ici : je n’ai jamais aimé ce terme, qui réduit les gens à des consommateurs, à travailler pour acheter pour que les autres puissent travailler puis acheter... Je préfèrerais qu’on parle du pouvoir de manger à sa faim et d’une Sécu alimentaire, de se soigner et de s’éduquer vraiment gratuitement… Mais enfin, ne soyons pas tatillons : « pouvoir d’achat » posé sur la table, on prend.)
Il faut voir le bon côté, dans les promesses
de Macron sur ces AESH dont il ne connaissait probablement pas l’existence voilà six mois. Il faut voir le bon côté, dans ses déclarations émues (et celles d’autres impétrants) sur la planète et l’écologie, alors qu’on signe à tour de bras des traités de libre-échange, et que le gouvernement français s’est assis sur les accords de Paris : ils sont désormais obligés d’en passer par là. On le répète, ici : on ne se berce d’aucune illusion. Ils ne changeront ni le sort de la planète, ni celui des AESH. Mais ces promesses forcées, arrachées, l’irruption de ces thèmes jusque-là oubliés, niés, sont un signe : la bataille des idées, nous sommes peut-être, sans doute, en train de la gagner.
Bien sûr, les idées, ça ne nourrit pas son homme. Mais souvent tout commence par là. Le chemin est encore long, mais la crise sanitaire et ses aboutissants l’ont montré : leur modèle, leur monde, sont à bout de forces, déjà agonisants, incapables de répondre aux autres crises qui se profilent. Ça ne suffit pas : les efforts seront dantesques, pour prononcer l’oraison funèbre, fédérer les espoirs, les attentes, arracher collectivement la mise en œuvre concrète des promesses cyniques.
Gamin, je dévorais la mythologie grecque. La légende de Sisyphe m’intriguait. Pourquoi remontait-il sans cesse son rocher en haut de la montagne ? « Il n’avait pas le choix, condamné par les Dieux, c’était son destin », répondaient mes bouquins. Je n’y croyais pas : il aurait pu partir, Sisyphe, tout lâcher, tout balancer, quoi de pire de toute façon que cette vie d’éternel forçat ?
J’ai une autre théorie : Sisyphe avait le choix, en fait. Il voulait vraiment remonter son rocher, à chaque fois, pour voir si, à la fin, un beau jour à défaut d’un grand soir, il ne resterait pas un peu là-haut, au moins quelque temps.
Ou alors, autre chose : il attendait le bon moment pour le balancer dans la gueule de Zeus.
Sisyphe avait le choix.
Nous aussi. Au boulot.