n° 104  

Panique à la maison de retraite

Par François Ruffin |


Amiens, le 7 juin
« Ma mère s’est cassé le col du fémur il y a deux ans, et après l’opération, il n’était plus question qu’elle retourne chez elle. On l’a mise en maison de retraite chez Korian. C’était cher et pas top, je passe. Et elle préférait aller à Saint-Victor, parce que c’était boulevard Beauvillé, mon père pourrait lui rendre visite… » Pendant une tournée, sur ma campagne, une dame me tire par la manche, pour témoigner des déboires de sa maman.

« Mais ce matin, voilà qu’une stagiaire m’appelle, une stagiaire ! Et elle me dit comme ça : ‘‘Deux unités vont fermer par manque de personnel, donc on va transférer nos patients à l’hôpital nord.’’ Ils doivent partir lundi, du jeudi pour le lundi ! Vous imaginez le choc pour des personnes âgées ! Et encore, à l’hôpital, il n’y pas de place pour tout le monde. Certains seront envoyés dans des Ehpad à la campagne. à d’autres, on demande aux familles de les reprendre. C’est la panique.
Je me suis rendue dans l’établissement : les résidents n’étaient pas au courant. Ma mère, ça l’a abattue. La cadre de santé, la pauvre, elle fait ce qu’elle peut. Et les médecins ont pris cette décision par sécurité, certes.
Les infirmières que j’ai croisées m’ont dit :
‘‘Ça fait des mois qu’on lance l’alerte, qu’on prévient notre hiérarchie que ça ne va plus, mais avec aucune réaction.’’ Du coup, il y a des démissions en cascade, six qui viennent de jeter l’éponge. Mais auparavant, à l’hôpital, il y avait un pôle de remplacement. Des soignants en surplus, au cas où. Ils ont asséché ça, et du coup, maintenant, à la moindre secousse, c’est la cata. Moi, ça m’énerve. Parce que, à la télé, pour les personnes âgées, on parle de ‘‘bien-être’’, de ‘‘transparence’’, d’‘‘information’’, ‘‘il faut prendre soin d’eux’’, etc. Mais dans la réalité, voilà comment elles sont maltraitées ! »

J’ai discuté, depuis, avec un soignant. Qui m’a décrit des personnes âgées en pleurs au bord de leur lit. Lui redoutant, pour elles, un « syndrome de glissement ». Et on m’a remis un document : le « contrat de séjour » entre le CHU et les résidents : parmi les « modalités particulières de résiliation », même « en cas d’urgence », le déplacement est supposé se faire « par lettre recommandée avec accusé de réception. La chambre est libérée dans un délai de trente jours après notification de la décision. »
Et pas du jour au lendemain, par l’appel d’une stagiaire…

Voilà comment, concrètement, pour les gens, c’est le chaos. Le chaos installé par des dirigeants bien sous tous rapports, au langage poli, avec cravate et tailleur, mais qui, des ARS à l’Élysée, en passant par les ministères, ne voient la société que sous forme de chiffres. Qui ne regardent les soignants et les travailleurs que comme de la « main d’œuvre », remplaçable, que comme un « coût », à diminuer. Qui pratiquent, sur nous, sur nos vies, le rationnement. Pour que, à l’autre bout, leurs amis puissent mieux se gaver. C’est un curieux chaos, que celui organisé par des gouvernants bien ordonnés…