n° 99  

Pas de surf pour les moutons !

Par Cyril Pocréaux |

Les élus voulaient un Surf Park artificiel juste à côté de l’océan.
Il en aura fallu, du monde, pour leur faire comprendre le côté aberrant de la situation…


« Mais on est en plein milieu des terres, ici ! Et c’est là qu’ils veulent construire une mer artificielle ? Avec un moteur, avec des vagues ? » C’était au printemps 2019. On s’était retrouvés au milieu des champs, avec Maïthé et Yoann, qui nous expliquaient la dernière lubie des élus : construire un Surf Park artificiel à dix bornes à peine de l’océan, à Saint‑Père‑en‑Retz, à l’ouest de Nantes. « C’est un projet qui s’est déjà monté en Écosse, nous expliquait Yoann, la trentaine, grosses lunettes et chemise rouge à carreaux. Un grand bassin au milieu de la campagne, pour y faire du surf. Pour une heure de fonctionnement, la consommation énergétique, c’est l’équivalent de quatre foyers sur un an. Donc imaginez avec le nombre d’heures où le bassin va fonctionner… » Le Surf Park prévoit alors de bétonner 8,4 hectares de terres agricoles pour créer un bassin de 200 mètres de long sur 75 de large. Derrière, tout est à l’avenant : un complexe sportif et hôtelier, un camping de huit hectares… Douze millions d’investissements prévus, des millions de litres d’eau potable engloutis. Et 40 € l’heure de surf. C’est à une société privée, Nouvelle Vague, qu’est venue cette idée de génie. Il ne lui a pas fallu longtemps pour convaincre la commune, le Département et même le ministère des Sports : quinze emplois créés, 100 000 visiteurs attendus dans l’année sur les routes de campagne. « Mais les terres, elles sont pas cultivables ? reprenait le rédac’ chef.
Maïthé : Mais si, bien sûr !
Yoann : On pourrait y faire du foin, ou mettre les animaux…
— Mais y a peut‑être pas de maraîchers qui veulent s’installer ici ?
Yoann : Si, si, il y a plein de jeunes qui veulent. Mais les terres disparaissent, avec le béton… »

Le maire avait lâché ce projet, dans la presse locale, comme une fierté : lui ne voyait que le « développement économique » de son village. Très vite, des réunions se mettent en place, quinze personnes, puis bientôt cent cinquante – toujours sous surveillance des gendarmes, dépêchés par les autorités.
Certains conseillers municipaux filent les infos en douce, sous le manteau. Dans le coin, on cultive aussi un avantage : la victoire de Notre‑Dame‑des‑Landes, qui a semé des graines et nourri des réflexes. « C’est pas facile de faire bouger les gens mais on avait déjà ça », pointe Maïthé. L’organisation suit vite : les agriculteurs, d’abord, rejoignent les rangs des opposants. Les soutiens de la LPO, de FNE, de Bretagne vivante arrivent. Un collectif contre les accaparements, Terres communes, existe déjà, et une association, le PRE (Pays de Retz environnement), est créée. Tout ce beau monde, entre autres actions, perturbe les conseils municipaux ou le vote du nouveau PLU. Cinq cents personnes manifestent dans le village en février 2019. Les médias sont alertés, qui assiègent le maire de questions. « Il y a chez nous des colibris, des coquelicots, des zadistes, des juristes, des activistes, des paysans… » calcule Maïthé. Il faut bien ça : un deuxième front s’ouvre au Carnet, juste à côté : « La bétonisation de cent hectares de terres dans l’estuaire de la Loire, un des douze grands projets que Macron nous avait vendus… »

Mais alors que la crise sanitaire ralentit le projet, un nouveau soutien arrive, à l’été 2020 : l’association Surf Rider International, qui se prononce contre les Surf Parks artificiels. Les instances officielles de la discipline, jusqu’alors silencieuses, bougent à leur tour. « ‘‘Vous avez contribué à la prise de conscience écolo dans le monde du surf’’, nous a avoué un universitaire qui travaille sur le sujet », sourit Maïthé. Et alors que le conseil participatif de la ville de Sevran (93) annulait, fin mai, son propre projet de Surf Park, le maire de Saint‑Père‑en‑ Retz annonçait début juin que le sien tombait à l’eau, lui aussi : lassés, les porteurs de projet ont disparu du paysage. Le maire, lui, attend d’autres propositions, sur ces terres arables… Si les assos’ n’ont pas gagné la guerre, elles ont déjà remporté une sacrée bataille !