Une pause ? Quelle pause ? Le pays s’arrête, et nous on accélère…
Les petites mains : “ralentir”, qu'il disait !
« Je suis allé faire mon footing ce matin, ça m’a fait réfléchir. Préparezvous, la semaine va être chargée ! » Le confinement venait d’être décrété, on se préparait à tourner, comme une partie du pays, au ralenti, un peu tranquilles, un peu peinards. Ça ferait pas de mal de souffler, depuis le temps qu’on se la promettait, cette pause, mais qu’on la repoussait. Là, l’occasion était belle. C’était une sorte de promesse tacite. C’était trop beau. Juste après le confinement ordonné par le chef de l’État, le message de notre Chef à nous tombait sur nos téléphones.
« La semaine va être chargée ! » Il s’en réjouissait, clairement, le Ruffin, poussant le sadisme jusque dans le point d’exclamation. « Je cours, donc, vers 6 heures du matin, sur les bords de Somme. Et qu’estce que je vois, à l’aube ? Un gars qui revenait des hortillonnages avec ses radis, en contrebande ! Il se sentait pris en flagrant délit ! En pleine journée, il aurait pris une amende, alors il jardinait la nuit, dans la clandestinité… Je l’ai rassuré, je ne comptais pas le dénoncer aux autorités. Il m’a raconté que son voisin de 87 ans, ça fait trente ans qu’il va dans son jardin toute la journée. Et là, il est confiné, privé de sortie. “Ils vont le tuer, le papy”, il m’a dit. On vit un temps de folie. Notre devoir, c’est de proposer autre chose, un espoir, une respiration, et vite ! »
On ne sait pas trop comment son esprit torturé en est arrivé à cette conclusion, ni quels détours il a empruntés, mais ça s’est traduit, en gros, par quelque chose de ce genre : qu’on « profite » de « tout ce temps libre » pour lancer une émission sur le web, et puis créer un site Internet collaboratif, pendant que lui en tirerait un bouquin avec les retours des gens (par milliers, les retours, à traiter), et puis finir l’enquête sur les métiers du lien pour l’Assemblée, et puis on racontera tout ça dans le prochain canard, qu’il faut penser à boucler, aussi. Avec pour slogan, bien sûr : « Ralentir plutôt qu’accélérer ! » Faites ce que je dis, pas ce que je fais…
Déjà, contester en face à face, c’est pas simple. À distance, confiné, par visioconférence, c’est un peu comme essayer de faire comprendre le droit du Travail à Muriel Pénicaud : illusoire. « Bon, François, on s’est concertés, on n’en peut plus, a osé Fabien, après dix jours de ce rythme, lors de la réunion d’équipe en ligne.
— La liaison passe mal, Fabien, je t’entends plus…
— On t’entend très bien, nous… On disait qu’on prendrait bien quelques jours de…
— Ah là là, la technologie, c’est plus ce que c’était. Une heure de réunion et ça foire ! Tu disais ?
— Ouais, bon, euh… il faudrait qu’on ralentisse dans l’équipe, comme la planète, on a besoin d’une pause, tu vois ?
— Bon, vraiment ça passe mal chez moi, je vous entends plus, c’est haché. Allez, on en reste là, et on se retrouve demain à la même heure ! Haut les cœurs, et bossez bien ! » On pouvait toujours télécharger une appli qui imite le bruit du jacuzzi, pour se détendre…
Le SPMF, Syndicat des Petites Mains Fakiriennes