L’exploité du mois : Robin et le Discord, exploités 3.0
« Mais ils sont fous ! Ils sont fous ! » Le rédac’ chef répétait ça, effaré, en voyant arriver sur nos messageries des kilomètres de transcriptions. Castaner passe sur Inter ? C’est transcrit le midi. Darmanin sur Europe 1 ? Dans la boîte le soir. Ça faisait un moment qu’on en était convaincus : notre équipe de scribes a quelques cases en moins. C’est qu’il en faut, de l’abnégation, du dévouement, de la résilience, même, pour se fader des heures de discours de Macron, de Le Maire, pour aller dégoter et taper la moindre saillie d’un Christophe Barbier. Mais c’est une richesse inestimable, pour nous, pour le canard, de pouvoir retrouver et travailler nos discussions avec Pablo Servigne ou Paul Jorion. Restait un mystère : on ne connaissait pas, physiquement s’entend, cette équipe de moines copistes du XXIe siècle. Ils se réunissaient, pour se passer les infos, sur le Discord, nébuleuse virtuelle et numérique qu’on avait, pour certains dans l’équipe, un peu de mal à se représenter. « Ah mais moi, le Discord, je ne connaissais même pas y a quelques mois. Je suis pas du tout un geek. J’ai découvert en devenant bénévole ! » Ouf : Robin, tout juste 22 ans, qu’on m’avait présenté comme la pierre angulaire du système, me rassure, au bout du fil.
Deuxième élément pour me plaire : il n’a pas une voix de robot. On dirait même un vrai jeune gars, normal. Ou presque : « À la base, je viens d’une famille de droite, où tout le monde est resté à droite. » Un bug dans le programme ? « Mes études en classe prépa m’ont politisé, je faisais de la socio, ça a été un choc, il s’excuse presque. Mais c’est récent : Fakir, Nuit Debout, tout ça, je ne connaissais pas y a trois ans… » Tout va vite, à l’heure numérique. « J’étais déçu par mes études en Communication politique. On ne fait que de la ‘‘Responsabilité sociale des entreprises’’, pour dire que tout va bien, tout verdir au profit du capitalisme. Un jour, en novembre dernier, je vois passer un message pour devenir Petites mains, et du coup je vais sur le Discord [ndlr : un forum de jeux, donc]. Je vois des gens qui discutent, qui bossent, je propose mon aide et de fil en aiguille, on me donne du boulot. » Le piège se referme. « Tu fais une, deux, trois retranscriptions, et tu te retrouves avec des gros trucs, très longs, comme sur les métiers du lien. Là ça va, mais parfois c’est quand même bien chiant quand tu te tapes des ministres. Mais lorsque c’est Cynthia Fleury, c’est passionnant, j’en profite. Et puis, quand on voit un truc qu’on a copié ressortir dans une intervention de François, ou sur Twitter, ça fait plaisir. » Mieux encore : Robin est monté en grade. Parmi le lumpenbénévolat de la matrice, il est passé au rang de manager, il distribue les tâches, oriente les affamés du clavier. Qu’ils soient cités, ils se reconnaîtront, derrière leur écran : « Rien que sur le groupe ‘‘confinement’’, on était une bonne quarantaine, avec Magalie [ndlr : par ailleurs l’une de nos préfètes dans le SudEst !], Catie, Chloé, Armoise, Laura, ou encore Ra, ou Alcorre – c’est des pseudos, hein – qui sont super actifs. » En bon chef de rang, il s’inquiète de leur santé mentale. « J’avoue, parfois, ça rend fou. Mag, elle doit rêver de Sibeth Ndiaye et de Muriel Pénicaud, la nuit. On s’en fait des blagues, entre nous… » Faut dire qu’ils ont du temps, avec le confinement. « Cette période, elle marquera un déclic dans mon engagement, estime Robin. On a le temps de se poser, de réfléchir. Le lien avec les autres, c’est ce qu’on cherche tous, en fait. C’est vrai qu’avec le numérique, c’est étrange : on parle et travaille tous les jours avec des gens sans savoir à quoi ils ressemblent, ni ce qu’ils font dans la vie. C’est frustrant, mais on va bien se rencontrer un jour. » On boira tous un coup, en vrai, promis, quand tout ça sera fini.