« Je suis en formation de web designer, et l’ambiance, à l’école, c’est tous les élèves qui parlent d’Elon Musk comme si c’était leur dieu. Ou leur père. »
L’exploité du mois : Théo, l'échappé de la Matrice
Pas trop son truc, à Théo, notre stagiaire. Lui, son père, le vrai, il a été « éveillé à la politique » avec Merci Patron ! Alors, Théo a tenté Fakir, pour son stage, plutôt qu’une vulgaire start-up de la Tech. « Et ça tombait bien : Fakir refait son site Internet ! Je me souviens de mon entretien, au mois de juin, 28°C, j’étais en nage. J’ai fait une tartine de 40 minutes pour expliquer que oui, je suis web designer mais de gauche, je suis pas un traître. » C’est qu’il parle, en fait, Théo ! Parce que, jusque là, il était plutôt du genre colosse taiseux…. « Je sais, je suis extrêmement réservé. Je ne parle pas, je ne me lance pas, je ne m’immisce pas dans les discussions. Bon, là, tu me poses des questions, alors je réponds. » D’habitude, c’est difficile, de lui en poser, avec son casque sur les oreilles, et les yeux sur l’écran, et les mains dans les journaux, à reprendre 25 années d’articles dans le canard pour les mettre en format web, et coder tout ça...
« C’est que, c’est très curieux : j’ai un trouble de l’attention. Il me faut constamment un truc qui m’occupe, sinon ça ne va pas.
— Mais ça te vient d’où, ça ?
— Je sais pas. Mais je suis né sur un ordi. Dès quatre ans, j’en avais un. C’était la fin des années 90, mon père avait acheté un PC familial, des CD-Roms… Ça a été un fléau, à cette époque.
— Ah bon ?
— En fait, en primaire, j’avais des difficultés scolaires et sociales assez importantes. L’ordinateur, les jeux vidéo, étaient mon seul refuge. Mais on ne se doutait pas que ça allait s’immiscer à ce point dans la vie sociale. Comme j’ai eu peur que mes parents me l’enlèvent, je me suis auto-régulé. Et avec le recul, j’ai vu assez vite les problèmes que posait Internet. J’ai vu les abus, les vidéos... J’y ai été exposé, à des trucs horribles. La génération suivante, les Alphas – moi, je suis de la génération Z, de la fin des années 90 – ils vont se prendre des agressions terribles, sur Internet.
— Ah ben c’est rassurant…
— Mais la vraie question, c’est que va-t-il se passer quand il n’y aura plus Internet ? Parce que l’électricité sera bientôt un luxe, je pense. Il faut imaginer un futur sans Internet. Bon, ce sera pas Mad Max, non plus, hein… »
Je me doutais pas qu’il cachait tout ça, Théo, derrière ses silences !
« Mais comment t’en es arrivé à réfléchir à tout ça, alors que t’avais le nez dans l’écran ?
— Vers le lycée, je me suis gauchisé. Dans ma famille, peu de monde avait eu le Bac. J’étais le deuxième, seulement. J’étais sur ma Nintendo, je voyais mes parents faire un boulot physique et je m’étais dit que je ne ferais pas comme eux. Mais j’ai commencé à trouver bizarres les discours apolitiques sur les milliardaires, comme si leur fortune venait de nulle part. Au final, je fais des études, mais pas juste pour de l’argent. C’est pas en prétendant être un bourgeois qu’on en devient un… » Théo, prisonnier de sa condition : nous, on le prend à vie comme bénévole exploité à Fakir !