n° 102  

Un Président des riches, contre les pauvres

Par Cyril Pocréaux , Damien Maudet, François Ruffin |

Emmanuel Macron ne s’est pas contenté d’aider les riches, il fallait aussi prendre aux plus pauvres. On appelle ça une politique «  juste  » et «  équilibrée  ».


 Logement : un Président contre les locataires

« Les plus pauvres moins bien lotis ». C’est le magazine Challenges, dans son analyse du bilan quinquennal, qui l’admet. Avant de détailler : « En dessous de 800 euros mensuels, la politique d’Emmanuel Macron a été pénalisante. Une perte légère (moins de 0,5 %) pour les trois quarts de la catégorie.  »
Au final, les 1 % plus pauvres se sont encore appauvris, en particulier à cause du poste « logement.  »
Automne 2018  : le gouvernement lance la réforme des APL, les aides personnalisées au logement, une somme allouée sous conditions de ressources. Le logement est, selon l’Insee, le premier poste de dépense des plus modestes  : les 20 % les plus pauvres consacrent 22 % de leur budget au logement. C’est plus encore, toujours selon l’Insee, pour les jeunes  : près de 26 % de leur budget. Et pire, chez les étudiants  : leur chambre de bonne absorbe 70 % de leurs dépenses, selon le syndicat Unef.

APL

Première salve  : supprimer 5 € d’APL par mois. Les jeunes, qui – la crise du Covid viendra l’éclairer – comptent parfois au paquet de pâtes près, s’inquiètent. «  Si à 18, 19 ans, 20 ans, 24 ans, vous commencez à pleurer pour 5 euros, qu’est‑ce que vous allez faire de votre vie ? On ne peut pas toujours dire ‘‘il y a des dettes, il faut que ça change’’ et ne jamais rien vouloir changer. Si vous ne voulez pas payer plus tard toutes les dettes que vous n’aurez pas payées quand vous étiez plus jeune…  », balaie Claire O’Petit, élue LREM de l’Eure. Ces cinq euros ne sont pourtant pas neutres, dans l’équation. à raison de 60 euros par an et par locataire, les offices HLM et les bailleurs sociaux ont dû prendre à leur charge le coût de la mesure pour qu’elle ne soit pas répercutée sur les loyers. L’Union sociale de l’habitat (qui représente 723 bailleurs sociaux sur l’ensemble du territoire) a évalué les économies nécessaires pour amortir cette baisse des APL à 3 milliards d’euros. Or «  l’argent des loyers ne sert pas aux dividendes mais est réinjecté en totalité sur le réinvestissement du patrimoine, la construction, la réhabilitation, l’amélioration de la qualité de vie des locataires...  », égrène Jean‑Sébastien Paulus, directeur général de Territoire habitat. Entretien, recrutement de personnels  : autant de domaines que la baisse des APL écorne.

Ce premier coup de canif en appellera d’autres, dont certains toucheront directement les locataires  : «  suppression de l’APL accession  », «  gel des loyers du parc social  », «  mesures de désindexation  ». Sur la seule année 2021, toutes mesures mises bout à bout, ce sont près de 3,5 milliards d’euros que le gouvernement aura économisé sur les bénéficiaires des APL.

Nouveau calcul

Quels effets, dans le détail, de ces mesures aux intitulés techniques  ?
— Les APL ne sont plus indexées sur l’indice de référence des loyers (IRL), un indicateur qui suit peu ou prou l’inflation. Les prix montent, mais pas les aides, donc.
— L’aide à l’accession est supprimée en 2018  : chaque année, environ 35 000 personnes devenaient propriétaires grâce à cette mesure, qui aidait sous conditions de ressources les locataires à devenir propriétaires via un Prêt Accession Sociale (PAS).
— Le loyer de solidarité, qui pesait uniquement sur les bailleurs sociaux, est supprimé, quand dans le même temps l’état diminue les APL.
— En janvier 2021, enfin, un nouveau mode de calcul des APL entre ainsi en vigueur  : la «  contemporanéisation  ». Officiellement, il doit permettre «  un calcul en temps réel  », tous les trois mois, des revenus, et donc de ce que l’on doit percevoir. Résultat  : «  Près de 30 % des allocataires étaient perdants en janvier, lorsque les APL ont été recalculées en temps réel. Parmi eux, près de 400 000 personnes sont sorties du dispositif  », relatent Les échos, en ce mois de juillet 2021. La ministre du logement, Emmanuelle Wargon, s’en félicitait, en novembre 2021, lors d’une audition avec les sénateurs  : « 1,1 milliard d’euros d’économies ont été faites grâce à cette réforme ».

15 milliards en six ans

Le rapport de la Fondation Abbé­‑Pierre de mars 2021 en tire un bilan global  : «  En cumulant toutes les coupes effectuées depuis 2017, ce sont plus de 10 milliards d’euros qui auront été économisés sur les APL entre 2017 et 2021.  » Quinze milliards économisés sur des ménages qui, rappelle la Fondation Abbé‑Pierre, disposent de ressources «  en moyenne équivalentes à 0,73 smic  », et dont «  40 % avaient un revenu entre 0 et 0,5 SMIC  ». Et un bénéficiaire moyen ‑ qui touche 225 € d’aides par mois ‑ a perdu environ 500 € sur le quinquennat.
Le Président lui‑même le martelait : « Les gens qui pensent que le summum de la lutte, c’est les 50 euros d’APL, ces gens‑là ne savent pas ce que c’est que l’histoire de notre pays. » Le gouvernement et la cour des Comptes, qui s’inquiétait à la même époque de la perte budgétaire qu’engendrerait la suppression de l’ISF, pouvaient dormir tranquilles  : le manque à gagner était bel et bien amorti.

 Un Président contre les jeunes

C’est une image, une campagne du gouvernement, qui résume beaucoup de choses. Qui en dit long. «  Et si vous aidiez un étudiant grâce à des dons alimentaires  ?  » La crise sanitaire aura eu cette conséquence  : mettre en lumière ces étudiants, ces jeunes gonflant des files interminables pour recevoir de l’aide alimentaire.
Ces jeunes qui, déjà, avaient été les premiers touchés par la réforme des APL. D’après une étude de l’Union nationale pour l’habitat, pour 39 % d’entre eux, la baisse a été de 118 € par mois. Ces jeunes qui avaient subi, également, le gel ou la suppression de leurs bourses, comme l’Arpe, l’Aide recherche premier emploi, qui permettait à quelque 120 000 jeunes boursiers de voir leur aide d’études maintenue pendant quatre mois après la fin de leur cursus. Le gouvernement supprime le dispositif, en 2019. La France compte alors, au début de la crise, 1 380 000 « Ni étudiants ni stagiaires ni employés », désignés sous l’acronyme anglais de «  NEETs  », et 500 000 étudiants pauvres. 20 % des jeunes vivent sous le seuil de pauvreté, et les 18‑24 ans connaissent un taux de chômage à 20 %.

Début de la crise

Au début de la crise du Covid, il avait fallu quelques jours, quelques semaines au plus, pour que le gouvernement débloque 100 milliards pour sauver les entreprises. Une mesure nécessaire et utile, même si une part importante de cette somme n’a pas été suffisamment fléchée.

Mais devant les jeunes en souffrance, devant les files pour l’aide alimentaire, aucun réel filet de sécurité d’urgence ne sera tiré pour les jeunes. Aucun Revenu de solidarité pour les 18‑25 ans, par exemple, comme ce fut proposé à l’Assemblée. Une forme de logique. Comme Emmanuel Macron le rappelait devant un parterre de jeunes, à Amiens, en novembre 2019  : « Nous n’avons pas de politique à avoir pour la jeunesse.  » Lui‑même, il le disait, avait vécu, «  adolescent, avec environ 1000 euros par mois  », et donc «  sait ce que c’est que de boucler une fin de mois difficile ». Un peu partout émergent à cette époque des appels à dons, des cagnottes sur Leetchi, des collectes dans les supermarchés, des caddies remplis de raviolis, de conserves, de sachets de purée. « RTL lance une opération de solidarité pour les étudiants précaires », « La cagnotte #Onremplitlefrigo a déjà recueilli 10 000 € », « Le groupe Pasteur Mutualité et les Bouffons de la Cuisine mettent un peu de douceur dans les assiettes des étudiants »  : les initiatives se multiplient.

Les premières mesures gouvernementales arrivent à l’été 2020, au compte‑gouttes. Quelques aides ponctuelles, d’abord : 200 € en juin 2020, 150 € en octobre, et le Restau U à 1 €. Surtout, les aides sont conditionnées, la plupart du temps. En février 2021, près d’un an après le premier confinement, le gouvernement relance en urgence l’Arpe, qu’il avait supprimée deux ans plus tôt. Mais avec deux différences : les jeunes devront désormais se contenter de 70 % de l’aide prévue pendant quatre mois, et ils sont exclus des bénéficiaires s’ils exercent un petit job – livreur de repas par exemple. Cassandre, originaire de Nancy et titulaire d’un master, en témoigne : «  J’ai fait la demande de l’Arpe, mais j’ai eu la réponse hier : refus car je suis déclarée en tant qu’auto‑entrepreneure. Donc, même si je déclare un revenu de 0 euro, pour Pôle emploi, je ne suis pas immédiatement disponible pour occuper un emploi. Ça m’aurait fait 177 euros par mois. C’était vraiment une bouée de secours, cette aide‑là, car je n’ai quasiment aucune mission, j’ai 200 euros pour vivre. Mais en fait, je n’ai toujours pas le droit à ce qu’on m’aide.  » Le même mois, le dispositif de l’aide à l’installation est lancé. Mais à peine mis en place, la sentence s’affiche sur le site du gouvernement : « Le nombre de dossiers enregistrés dépassant la limite de l’enveloppe financière consacrée à cette subvention, les nouvelles demandes ne sont plus acceptées ». En moins d’un mois, à peine, «  l’enveloppe  » prévue était vidée.

Charité et solidarité

Enfin, si Emmanuel Macron évoque en mai 2021 «  l’octroi d’une aide de 500 euros par mois pour les moins de 25 ans qui n’ont ni emploi, ni formation  », la proposition se transforme finalement en simple extension de la garantie jeune, déjà annoncée sans suite en 2018. Voter en... octobre, sans même passer par la procédure d’urgence ou par un budget rectificatif qui aurait permis d’accélérer la manœuvre. Surtout, les conditions sont si drastiques que très peu peuvent en profiter (voir encadré).

Jusqu’à la campagne du gouvernement, donc  : «  Et si vous aidiez un étudiant grâce à des dons alimentaires  ?  » L’aumône. La charité qui remplace la solidarité. « J’en viens alors à me demander, écrivait Roland Barthes dans ses Mythologies, si la belle et touchante iconographie de l’abbé Pierre n’est pas l’alibi dont une bonne partie de la nation s’autorise, une fois de plus, pour substituer impunément les signes de la charité à la réalité de la justice. »

Garantie jeune : sous conditions.

« D’après les informations que vous avez complétées, vous ne remplissez pas les conditions pour bénéficier de la Garantie Jeunes ». On avait juste coché «  oui  », sur le site du gouvernement, à la question « Vos parents paient des impôts  ?  ». Qu’ils paient quelques centimes, donc, ou qu’ils ne vous aident pas, que vous ne les ayez pas revus depuis des années, peu importe  : «  Vous ne remplissez pas les conditions pour bénéficier de la Garantie Jeunes. » La garantie jeunes, de fait, ne s’offre que sous conditions drastiques. Nous en avons compilé quelques‑unes, d’après le questionnaire du site officiel, toujours.
Un jeune entre 18 à 24 ans peut en effet bénéficier de la garantie jeunes  :
— sauf s’il est «  inscrit dans un établissement scolaire (collège, lycée, université...). »
— sauf s’il «  suit une formation  ».
— sauf s’il «  dispose d’un statut de micro‑entepreneur  ».
— sauf s’il perçoit «  l’indemnité de service civique »
Les conditions sont légion. Qu’importe si le jeune en question n’est pas aidé par ses parents, s’il n’a rien à manger en rentrant de ses cours, si sa formation n’est pas rémunérée, s’il est livreur chez Uber‑eats cinq heures par semaine  : «  Vous ne remplissez pas les conditions pour bénéficier de la Garantie Jeunes. »

 Un Président contre les salariés

Le gouvernement se targue d’une baisse du chômage « historique ». à bien y regarder, a réalité est beaucoup moins flatteuse, entre explosion du travail précaire et des salariés pauvres. Précisons, d’emblée, les choses  : la France «  start‑up Nation  » qui se réinvente, qui bouge, qui crée (des emplois, sous‑entendu), la France d’Emmanuel Macron, donc, a créé en moyenne, selon l’organisme Eurostat, proportionnellement moins d’emplois que les autres pays européens (voir graphique ci-contre en haut). Entre 2017 et 2021, leur nombre a ainsi progressé de 2,2 % en France, contre 2,8 % au Royaume‑Uni, 4,7 % en Belgique, 6,7 % aux Pays‑Bas – par exemple. Les chiffres dissociés entre évolution de l’emploi salarié et non salarié, surtout, sont parlants.

Que disent‑ils  ?
Que pour la création d’emplois salariés, avec une hausse de 1,5 % seulement entre 2017 et la mi‑2021, la France est loin, très loin derrière la quasi‑totalité des autres pays européens (voir graphique ci-contre, au milieu). Derrière la Pologne, la Suisse, la Suède, mais aussi l’Allemagne (+3 %), la Belgique (+4,3 %), le Portugal (+4,5), l’Espagne (+5,6) ou les Pays‑Bas (+7,4). Et loin de la moyenne de la zone euro (+2,7 %). Voilà pour l’emploi salarié, donc. En revanche, dans un retournement complet de l’échelle, la France est championne toute catégorie des hausses d’emploi non salarié (voir graphique ci-contre, en bas)  : +7,3 %. Seule la Hongrie et l’Estonie en ont créé plus, en proportion. Alors que, sur la même période, les Pays‑Bas n’en sont qu’à 2,5 %, et que la plupart des autres pays européens ont même vu fondre leur nombre d’emplois non salariés  : ‑2,1 % au Portugal, ‑5,6 % dans la zone euro, ‑6,2 % en Allemagne.

La France, donc, voit exploser les emplois non salariés sous le quinquennat d’Emmanuel Macron. Une bonne nouvelle  ? Pas forcément. Car que recouvre le terme d’emplois non salariés  ? Il s’agit des travailleurs indépendants, travaillant à leur propre compte, peu ou moins couverts que les salariés par les systèmes d’assurance (chômage ou maladie), et dont le nombre augmente, traditionnellement, en temps de crise économique  : les salariés qui ont perdu leur emploi se mettent à leur compte, faute de mieux. Dans des conditions souvent difficiles. Selon l’INSEE  : «  18 % des indépendants ont un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté  » et «  pour plus d’un quart d’entre eux (27 %), les revenus d’activité annuels sont inférieurs à la moitié du Smic rapporté à leur quotité de travail  ». Des travailleurs indépendants dont une bonne partie, 40 % toujours selon l’Insee, sont par ailleurs micro‑entrepreneurs.

 Création d’entreprises : bonne ou mauvaise nouvelle ?

On assiste depuis 2017 à un glissement, plus fort en France que partout ailleurs, d’un emploi salarié vers un emploi plus précaire, et moins bien payé.

Étrange record

Mécaniquement, pourtant, le phénomène fait gonfler le nombre d’entreprises. Le gouvernement avance d’ailleurs ce chiffre  : celui des créations d’entreprises, qui a atteint des sommets.

Un record «  historique  », selon le ministre de l’économie. Geoffroy Roux de Bézieux, patron du Médef, est sur la même ligne  : « Il y a un chiffre qui me ravit, ce sont les créations d’entreprises. Parce que pour créer son entreprise en ce moment, il faut… Je ne vais pas utiliser une expression triviale, mais ‘‘faut en avoir quoi’’. »

Les Échos relaient également la nouvelle  : «  Nouveau record historique du nombre de créations d’entreprises en France, avec 996 217 créations, en grande partie face au boom du régime micro entrepreneur.  » Le quotidien des marchés entre dans une analyse plus détaillée que celle du ministre. «  Cela vaut aussi pour les étudiants qui ont perdu leur job, par exemple en baby‑sittings ou en restauration. Ils ont créé leur activité, en s’inscrivant notamment en masse comme livreurs de repas. Selon les derniers chiffres de l’Acoss, le nombre de micro‑entreprises dans la catégorie ‘‘activités de poste et courriers’’ a augmenté de 40,2 % entre juin 2019 et juin 2020, atteignant 119 900 inscrits. ‘‘En 2020, nous sommes passés de 11 000 à 14 000 livreurs partenaires affiliés [et] en parallèle, notre activité a plus que doublé en un an’’, annonce Deliveroo  ».

Ubérisation

«  Livreurs et baby‑sitters  » composent donc en grande partie le flot d’entreprises nouvelles vanté par Bruno Le Maire. Car ici aussi, les courbes sont claires  : sous Emmanuel Macron, la quasi‑totalité de la hausse des créations est due à l’explosion des micro‑entreprises. 400 000 d’entre elles sont créées entre 2017 et 2018, 500 000 entre 2018 et 2019, idem en 2020, 650 000 pour 2021. Soit plus de deux millions depuis le début du quinquennat – dont beaucoup ont déjà disparu, depuis.

De quels emplois parle‑t‑on, ici ?

D’emplois précarisés, «  uberisés  » ‑ le terme est entré au dictionnaire Larousse sous la présidence d’Emmanuel Macron  : «  arrivée d’un nouvel acteur proposant les mêmes services à des prix moindres, effectués par des indépendants plutôt que des salariés, le plus souvent via des plateformes de réservation sur Internet.  » Le Président qui en avait d’ailleurs défendu le modèle, en 2018, expliquant ne pas vouloir «  interdire Uber et les VTC. Ce serait les renvoyer vendre de la drogue à Stains. »

Ce Lumpenprolétariat non salarié, les micro‑entrepreneurs, l’Insee s’est penchée sur sa situation. Ils étaient 1,3 millions en 2019, avec un revenu moyen mensuel de 590 euros. Et un tiers d’entre eux, là encore, sont des jeunes.
Le voilà, donc, le projet  : Uber ou dealer.

 Un président contre les bas salaires

Qui sont les allocataires les plus touchés  ?
« Il faudra se rappeler que le pays tout entier repose aujourd’hui sur ces femmes et ces hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal. » C’est Emmanuel Macron qui tenait ces propos, à l’aube de la pandémie, dès les premiers jours du confinement. «  Ces femmes et ces hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal  », aides à domicile, agents d’entretien, caissiers, caristes, ouvriers du bâtiment, assistantes maternelles, etc., ces travailleurs de la seconde ligne souvent en contrats d’intérim ou temps partiels, ils ont été l’objet d’un rapport, commandé par le gouvernement, via le ministère du Travail. L’économiste Christine Erhel en a dénombré dix‑sept. Avec pour points communs d’être aussi peu payés que mal reconnus : «  un niveau de revenu salarial annuel inférieur au niveau de revenu correspondant au Smic, ce qui s’explique par la part importante des emplois à temps partiel ou des emplois discontinus, avec des périodes de chômage ou d’inactivité au cours de l’année.  » Le rapport Erhel note, également, pour ces emplois, une surexposition aux risques infectieux, « nettement supérieure à la moyenne (des salariés de la deuxième ligne comme de l’ensemble des salariés) pour les aides à domicile et les aides ménagères (62 %) ou les agents d’entretien (55 %)  » et «  également à un niveau élevé pour les ouvriers qualifiés des travaux publics, du béton et de l’extraction (60 %) ». Il évoque, même, une perte de sens, de reconnaissance : « Le sentiment d’utilité sociale hors crise sanitaire apparaît très hétérogène au sein des métiers de la deuxième ligne. Il est particulièrement élevé pour les aides à domicile et aides ménagères (91 %). »

Que fait le gouvernement  ?
La réponse du gouvernement à la précarité de ces emplois, de ces situations de la seconde ligne, sera donc la réforme de l’assurance chômage. Une réforme qui pénalise justement ces travailleurs recensés par le rapport Erhel, ceux‑là même dont il fallait «  se souvenir  ». En intérim ou à temps partiel, avec des salaires environ 30 % inférieurs à la moyenne des salariés du privé, et en‑dessous du Smic mensuel pour la plupart – le rapport Erhel le confirme – ils sont en effet les premiers pénalisés par les nouvelles règles. Leurs temps de travail sont morcelés, fractionnés, leurs temps sans emploi succèdent aux courtes périodes de travail, mais les périodes sans contrat seront prises en compte dans le calcul. Pour corriger les inégalités, pour inciter les chômeurs à travailler et à «  sortir du recours excessif aux contrats courts  » – comme si l’enchaînement des CDD et des missions d’intérim était de leur fait – on diminue donc leurs allocations, sanctionne les temps partiels, faisant confiance au laisser‑faire pour améliorer leur situation. On supprime leurs derniers filets de sécurité. « Nous faisons le pari avec confiance que le dialogue social aboutira sur quelque chose d’intéressant », promet le ministère du Travail. Même si le dialogue social n’a guère été vecteur de progrès, depuis cinq ans. Avec par exemple le refus systématique du gouvernement d’augmenter le Smic au‑delà des augmentations automatiques prévues par la loi. Pas de «  coup de pouce  », donc, au‑delà du minimum légal. Les courbes de la hausse des prix et de l’évolution du salaire minimum se disjoignent et s’écartent même, en ces temps d’inflation. Il aura fallu attendre que la hausse des prix dépasse les 2 % pour que le Smic suive automatiquement, en application de la loi du 2 janvier 1970. Le «  pari  » du dialogue social semble donc pour le moins incertain.
Surtout pour les plus précaires..

 Un Président contre les chômeurs

Un million de chômeurs, au sortir du quinquennat, verront leurs allocations baisser de 17 %. Pour la CFDT, la baisse moyenne sera de 250 € par mois. Le résultat de la réforme de l’assurance chômage, adoptée par décret en toute fin de quinquennat, à l’automne 2021. Une réforme qui, en rythme de croisière, devrait rapporter à l’état quelque 2,3 milliards d’euros par an.

Après l’avoir repoussé à cause de l’épidémie de Covid, le gouvernement remet son projet de refonte des allocations chômage sur le tapis au printemps 2021. Le raisonnement d’Emmanuel Macron, il l’expose lui-­même, sur TF1, dès le début de son mandat, cinq mois après son élection  : «  Il faut qu’on s’assure [que le demandeur d’emploi] n’est pas un multirécidiviste du refus.  » Une philosophie illustrée dans les jardins de l’Élysée, à l’été 2018, quand il s’adresse à un jeune horticulteur au chômage  : «  Hôtels, cafés, restaurants, je traverse la rue, je vous en trouve [du travail]  ! Ils veulent simplement des gens qui sont prêts à travailler, avec les contraintes du métier…  » Le principe mis en place pour la réforme vise donc à réduire le champ de l’indemnisation  : prendre en compte, dans le calcul, les temps non travaillés sur les 24 derniers mois. Mécaniquement, la moyenne des indemnisations chute. Les chiffres de la Dares, la direction de l’Animation de la recherche, des Études et des Statistiques (dépendante du ministère du Travail) assurent pourtant qu’il y a 21 fois plus de demandeurs d’emplois que d’emplois disponibles dans notre pays  : 286 000 emplois disponibles pour plus de six millions de personnes inscrites à Pôle emploi.

Si la réforme est adoptée, ce changement de règles de l’indemnisation, en cette fin de quinquennat, ne fait pas l’unanimité. Le Conseil d’état, le 22 juin 2021, suspend une première fois le projet, alors qu’il devait être appliqué au 1er juillet 2021. Il n’y a pas «  d’éléments suffisants permettant de considérer que les conditions du marché du travail sont réunies pour atteindre l’objectif d’intérêt général poursuivi » par le projet, estiment les magistrats. En d’autres termes, la réforme, dans le contexte actuel, irait contre l’intérêt général. Autres opposants, plus surprenants ceux‑ci  : Muriel Pénicaud, ancienne ministre du Travail de Macron, désormais représentante de la France auprès de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Libérée de son devoir de loyauté, elle estime que « les systèmes d’assurance chômage doivent tenir compte des contextes. » Son ex‑directeur de cabinet enfonce le clou  : « Les demandeurs d’emploi concernés vont avoir un lourd sentiment d’injustice ». Malgré tout, le projet est adopté, par décret, en octobre 2021.

Et pour les plus fragiles…

Handicapés  : des économies sur l’amour.
Avec l’Allocation adulte handicapé, une personne handicapée peut recevoir une aide – 900 euros maximum. Problème  : cette aide est soumise aux revenus de son conjoint, même si celui‑ci n’aide pas, par volonté ou par contrainte, son partenaire. à cinq reprises les députés des oppositions proposent donc la déconjugalisation de l’AAH  : que les handicapés puissent être aidés, individuellement. à chaque fois, par des «  motion de rejet préalable  » ou «  vote bloqué  », la majorité refuse la mesure. «  Nous souhaitons traiter [cette question] de manière plus exhaustive dans les prochains mois lors de grandes réformes globales  » promettent les députés. Ou encore  : «  730 millions, c’est un coût important.  » Suite à ces refus, les exemples fleurissent dans la presse de ces couples, dont un conjoint est handicapé, obligés de divorcer pour maintenir leur niveau de revenus. Une mesure qui s’ajoute à une première restriction, mise en place en juin 2018  : l’interdiction du cumul de la pension d’invalidité et de la prime d’activité.

Suppression des contrats aidés  : quel impact social  ?
C’est l’une des premières mesures de l’ère Macron, à l’été 2017  : supprimer les subventions aux contrats aidés (contrats d’avenir et CUI‑CAE) pour les associations et collectivités. Des contrats qui sont «  une perversion de la politique de l’emploi  », estimait le Président dès l’été 2017. Clap de fin, donc pour les 320 000 emplois encore actifs en 2017. Soit 4 milliards en moins, à terme, pour la lutte contre l’illettrisme, les activités sportives pour les enfants, l’aide aux précaires, les embauches dans les cantines, garderies pour les collectivités  : tous les domaines de la vie sociale sont touchés. Rodrigue, un militant associatif d’Abbeville, en témoignait  : «  On fait de l’aide aux devoirs, de l’éducation avec le jeu, dans un quartier très populaire. Sur cinq salariés, on est quatre en contrats aidés. Dont Marie‑Hélène, et on a appris qu’elle ne serait pas renouvelée. Ça la met en péril elle, mais aussi l’asso. On dit quoi aux personnes qu’on accueille  ? Les enfants, les parents, avec qui on travaille au quotidien  ?  »

Deuil parental  : un peu d’humanité arrachée.
«  Ce n’est pas à l’entreprise de payer », car «  ça va la pénaliser  » ‑ Muriel Pénicaud, alors ministre du Travail. « Quand on s’achète de la générosité à bon prix sur le dos des entreprises, c’est quand même un peu facile  » ‑ Sereine Mauborgne, députée LREM du Var. Il s’agissait, à l’Assemblée, de voter la proposition d’instaurer un congé de deuil de douze jours au lieu de cinq pour les parents en deuil. Proposition rejetée par la majorité et le gouvernement. Qui, devant le tollé provoqué, devront faire machine arrière et accepter la mesure.

Les vases communicants.
On assiste, là aussi, à un glissement  : Avec la CSG, les APL, les contrats aidés, la réforme de l’assurance chômage (voir ci-dessus), Emmanuel Macron prend aux plus pauvres, à raison de plusieurs milliards ‑ 6 à 7 par an. Dans le même temps, il exonére les plus riches, pour plus de 160 milliards d’euros au total sur cinq ans...