n° 113  

Y a prolongations

Par Cyril Pocréaux |

Il faut remettre l’ouvrage sur le métier, dès maintenant.
Avec de la joie, de l’espoir, et surtout les gens.


Forcément, l’euphorie nous saisit.
On n’a pas perdu. On était menés 2-0 à cinq minutes de la fin, réduits à dix, et voilà qu’on a réduit l’écart puis égalisé, sur un gros effort collectif. C’est un exploit, un petit miracle, mais qui n’est pas tombé du ciel, non plus : on est allé le chercher partout, aux quatre coins du terrain.
Après l’euphorie, il faut revenir à la lucidité : on a juste arraché la prolongation. Et on est en infériorité numérique. Ça ne va pas être une partie de plaisir, ce temps supplémentaire.
Mais y a prolongations, au moins…

Que m’excusent celles et ceux qui n’entendent pas grand-chose au foot. Je décrypte, alors : au vu des résultats des élections législatives, la gauche est toujours là, certes, mais elle a évité la défaite plus que décroché une victoire. Et nous avons obtenu un sursis, mais rien de mieux.

Maintenant, la question : que fait-on, pendant tout ce temps ?
Je veux dire, pendant les trois ans, au plus, qui nous séparent de la prochaine échéance électorale nationale ?

En premier lieu, que ce soit clair : ne rien attendre, comme concessions ou indulgence, de la Macronie. Pas plus que de la droite LR, dont la principale vertu ces sept dernières années, et jusqu’à aujourd’hui encore, aura été de faire croire qu’elle émarge dans l’opposition, quand elle sert la même politique qu’Emmanuel Macron. Nombre de LR, de Darmanin à Castex, l’ont d’ailleurs rejoint, faut-il le rappeler.
Pas de suspense, et rien à espérer, de ce côté-là.
Problème, toutefois : si ce bloc Macron-LR continue à mener la danse, arbitre des élégances et de la casse sociale, le RN continuera de monter, irrémédiablement. On l’écrivait, dans notre Tchio Fakir Front Populaire : « On le savait : tant qu’ils seraient là, tant qu’il y aurait des Emmanuel Macron, des Bruno Le Maire, des Édouard Philippe et leurs avatars pour nous vendre leur monde mortifère et sans lumière, il y aurait derrière, dans leur ombre, l’extrême-droite, à se repaître des dégâts, des souffrances, des désillusions et des trahisons. De plus en plus forte, de plus en plus grosse, dévorant tout. »
Que ce soit Édouard Philippe et son air décontracté, qui tranquillement nous disait qu’il n’y a pas d’alternative à la retraite à 67 ans, que ce soit Xavier Bertrand et son jeu d’acteur permanent, que ce soit Bruno Le Maire et ses œillères, ou n’importe quel de leurs ersatz, ils favoriseront le RN à force de prendre aux pauvres (et de leur taper dessus) pour donner aux riches.

Les manigances Macronie-LR pour s’accaparer les postes de responsabilité à l’Assemblée, de la présidence aux secrétariats, et que je fais voter les ministres, et que je négocie ceci contre cela, celles de Macron pour ne pas nommer un gouvernement de gauche, ces petits arrangements entre amis qui attisent la colère l’ont même rappelé : eux s’en moquent, que l’extrême-droite arrive au pouvoir. Son programme économique, libéral, ne les effraie pas, bien au contraire. Quant au reste… Eux ne subiront jamais les conséquences de sa politique. Dès lors, ils n’ont qu’une idée : aller plus vite, plus fort, encore. Ils savent leur temps fini, ils se savent dépassés. Les électeurs et l’histoire ont déjà tourné le dos à leur délétère refrain « concurrence – croissance – mondialisation ». Alors, comme les braqueurs qui prennent tout ce qu’ils peuvent dans le coffre-fort parce qu’ils ont entendu l’alarme sonner et qu’il ne leur reste plus beaucoup de temps, ils accélèrent leur jeu de saccage.

Ne rien attendre, donc.
Labourer le terrain, ensuite.
Car si nous attaquons les prolongations, ce n’est même pas un répit : il faut remettre l’ouvrage sur le métier, de suite, dès la rentrée.
Avec une ligne directrice, d’abord : une gauche de rupture, bien sûr, pour être entendus, à nouveau, des gens, en balayant les atermoiements autant que les calculs électoralistes.
Avec un objectif, aussi : reconquérir ces terres entières abandonnées, volontairement ou non, au RN. Ces anciens bastions de gauche qui ont basculé récemment, comme les territoires qui s’en sont éloigné depuis longtemps. Les campagnes comme les périphéries, les quartiers comme les « diagonales du vide ».

Ne nous y trompons pas : ce sera l’extrême-droite ou nous, dans un an, dans trois ans, ou à peine plus tard. Alors, à nous d’aller convaincre les gens, écouter et partager leurs colères, trouver des solutions, convaincre que le problème n’est pas l’immigré ou l’assisté mais ceux qui se repaissent de leur travail, et n’ont aucun intérêt à en partager les fruits. Répéter que la révolte des Gilets jaunes n’a pas été oubliée et qu’il faudra y répondre, que les émeutes dans les quartiers ont des causes profondes et qu’il faudra y répondre, que les demandes de la Convention citoyenne sur le climat seront déterrées et qu’il faudra y répondre, que la colère contre la réforme des retraites n’a pas été vaine et qu’il faudra y répondre.
Qu’on ne continuera pas à laisser ce pays être gouverné sans le Peuple, contre le Peuple.

Et par-dessus tout ça, dans un même mouvement, nous devrons emballer les cœurs, mettre de l’espoir et de la joie dans l’action. Parce qu’on l’a compris, au fil de la campagne, des porte-à-porte, des distributions de notre Tchio : l’ambiance en France n’est pas à la gaieté, pas franchement. La gauche ne pourra convaincre puis changer la vie des gens que si elle emmène avec elle toute la société dans cet élan.
Il faudra respirer, ne pas rester claquemurés dans des négociations de portes closes. Faire respirer tout ça. Car le Front populaire, c’est nous, et nous devrons le faire vivre : c’est toute la société qui doit se mettre en branle, individus, associations, syndicats, artistes, journalistes…

Qu’on nous pardonne de reprendre, ici, la métaphore sportive. Voilà longtemps, trente ans finalement, que la vie politique française se résume à une course de fond entre notre gauche, une gauche de rupture, et l’extrême-droite. Nous y sommes : avec le temps, la course de fond est entrée dans sa dernière ligne droite. Mais sur un sprint final, avec la concurrence devant, en ligne de mire, même un gros retard, se rattrape…