Quand on achète du pain bio, il râle que c’est trop cher, le patron. Alors, quelques milliers d’euros de trou dans la caisse…
Les petites mains : c’est la crise !

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« Bon, pour le nombre d’abonnés, on est stable, c’est pas mal parce que beaucoup arrivaient à échéance. Niveau sous, maintenant, on est à moins 50 000 par rapport au mois de janvier, bon, faut attendre la fin de l’année pour voir. Pour la campagne ADP, enfin…
– Pardon ? Hein ? »
C’était pendant la réunion d’équipe, un lundi somnolent d’après repas. Thibault faisait un point, quand le rédac’ chef a sursauté. Thibault a repris.
« Je disais : pour la campagne ADP, …
– Non, non, c’est pas ça, c’est juste avant, les sous ! Moins 180 000 ? Mais c’est pas possible… »
Il est devenu blême. Livide. Plus pâle, même, encore, si ça existait. Thibault a senti le risque cardiaque et a effectué les premiers secours, en le rassurant.
« Non mais on a des sous, quand même. Ce déficit temporaire, c’est juste sur l’exercice 2019. Et des factures impayées vont rentrer, on en attend pas mal.
– Moins 50 000 euros…
– On a eu pas mal de dépenses, pour distribuer le film, pour la campagne ADP. Et on n’a pas encore récupéré la TVA. Mais t’inquiète, d’après mes calculs, ça devrait s’équilibrer.
– Moins 180 000 euros… »
Il répétait ça, les yeux dans le vague. On aurait dit Harpagon avec sa cassette.
« François, tu confonds la trésorerie et l’analyse comptable au moment du bilan. C’est là qu’on verra si on est à l’équilibre, car cette année, on a investi durablement. Ça engendre une trésorerie plus basse, nous ne sommes qu’en autofinancement. simplement la distance temporelle entre le moment d’investissement et le moment de recette est plus long. Tu comprends ? »
Pas sûr : il a un côté bon sens paysan, le Ruffin. si y a pas de sous sur le compte, c’est qu’y a pas de sous. Ce qui va tomber, les virements en attente, tout ça, ça compte pas. Le futur, le passé, les provisions, ça compte pas.
Alors, il sort sa serpe et cherche où tailler.
« Les cotisations, tout ça, c’est obligatoire ? »
« ça va revenir plus cher qu’une gamelle de riz… »
La semaine suivante, en réunion, il nous présentait un document :
« Pistes de réflexion pour sauver Fakir de la faillite et de la disparition totale. » Et il déroulait.
« J’ai vu une ligne comptable, là. Les cotisations, tout ça, c’est obligatoire ?
– Euh, ben, c’est ce qui paye nos retraites, la Sécu, enfin pour l’instant…
– Ah oui, les retraites… Bon, les repas le midi, c’est Fakir qui rince. Dans un esprit collaboratif et solidaire, je pense que ce serait mieux si chacun amenait désormais son déjeuner.
– Et tu nous payes 8 euros de ticket-repas par jour ? ça va revenir plus cher qu’une gamelle de riz et du pain…
- Mais vous croyez que c’est avec ces principes petit-bourgeois qu’on va changer le monde ? En tout cas, je vous le dis : on s’en sortira pas si on n’augmente pas notre productivité et notre croissance.
– Ah ouais ? Je croyais que t’étais ‘‘a-croissant’’ ?
- Marrez-vous, marrez-vous ! Mais je vais vous dire un truc : si on veut gagner plus de sous, il va falloir travailler plus.
– Attends, ça me rappelle un truc, cette phrase, que je me souvienne…
– Rien à voir : là, c’est pour nous sauver !
– Nan mais t’inquiète, on s’est concertés, on te fait une fleur : la construction du jacuzzi, on repousse de trois mois, ça laisse le temps de voir venir. »
Il s’est levé, titubant, est monté s’enfermer dans son bureau. Et quand le chat n’est pas là…
« c’est mon anniversaire ! » a gueulé Sylvain. « champagne, c’est offert par la maison ! »