n° 105  

Ils ont pris Dassault d’assaut !

Par Guillaume Bernard |

Les salariés en avaient marre de bosser pour des milliardaires mais d’être payés au lance-pierre. Alors, à coups de raquettes et de fléchettes, ils ont bloqué leurs jets. Moralité ? Ça vaut le coup d’emmerder les ultra-riches.


« Pourquoi la direction a cédé ? Parce que ce sont des milliardaires et des gouvernements qui lui ont mis la pression… » Il reste modeste, Mehdi. On dirait presque qu’il n’y est pour rien... Le secrétaire du syndicat CGT de Dassault Falcon Service (DFS), au Bourget (93), égrène pourtant : « 140 € en plus sur le salaire de base, et 800 € de prime pour les ouvriers, 1200 € pour les cadres… » Tout ça en seulement six jours de grève, face à une multinationale connue pour son inflexibilité. Sauf que « on n’est pas n’importe quelle filiale de Dassault : nous, on s’occupe des jets privés des milliardaires », précise Mehdi. Le genre de client capable de faire trembler un patron s’il estime que sa prestation n’est pas à la hauteur. Sans compter que c’est une action inédite d’une centaine d’ouvriers, et un brin barrée, qui a mis les riches clients dos au mur.

« Au retour des vacances d’été, de plus en plus de salariés venaient me voir. On s’était fait marcher dessus lors des négociations annuelles obligatoires (NAO) précédentes, ils voulaient que ça change », raconte le technicien aéronautique. Mais chez Dassault Falcon Service, dont Mehdi vient juste de reprendre le flambeau, la section CGT est dépeuplée. La boîte n’a pas connu de contestation depuis un bail. « On n’avait pas la méthode, donc on a commencé en organisant… des barbecues ! », se marre le jeune délégué. Un vendredi de septembre, une petite centaine de salariés, sur les 550 que compte le site du Bourget, se rassemblent pour manger le midi. Ils ramènent des fléchettes, de la musique, des raquettes de plage… et commencent directement une grève, l’après-midi ! Les revendications sont simples : réouverture des NAO, 300 € de plus sur la fiche de paie et le paiement des heures de grève. L’événement est un succès, on recommence, mais la direction ne leur jette même pas un coup d’œil. Alors, les grévistes durcissent la mobilisation.

Le plan se met en place le 6 octobre : pour rester fonctionnels, les jets privés doivent effectuer des vols de contrôle. Or les salariés ont repéré un jet gouvernemental qui doit bientôt décoller… Alors, lorsque la porte de son hangar s’ouvre, une centaine d’ouvriers l’encerclent et le clouent au sol. « Ils ont tenté de sortir un autre avion, on l’a bloqué aussi, puis un autre... Finalement, ça s’est transformé en blocage total : 24 avions cloués au sol ! » Les grévistes viennent de mettre le doigt dans l’engrenage : plus question de reculer. « Cette brèche qui s’est ouverte, on n’allait pas la revoir de sitôt. On ne pouvait pas rentrer chez nous et laisser les avions décoller. Alors, on les a bloqués avec du matériel, pour que leur remise en service prenne des jours. »

Dès le lendemain, la direction change de ton et propose des primes. Pas suffisant, estiment les grévistes, qui montent un piquet de grève. C’est la panique dans les hauteurs de Dassault FS : les salariés ne sont jamais aussi importants que lorsqu’ils arrêtent de bosser… « Bon, faut dire qu’on bloquait cinq ou six avions gouvernementaux. Si nous on avait la pression, la direction l’avait deux fois plus ! », rigole Mehdi. Finalement, les grévistes sont reçus au sixième jour de conflit. La direction lâche donc sur le salaire, les primes, et promet de nouvelles négociations dès janvier. Cerise sur le gâteau : la section syndicale s’est repeuplée. « Les salariés ont vu l’investissement dont on a tous fait preuve. Beaucoup veulent se syndiquer pour obtenir encore plus. » Et à la fin, prendre d’assaut tous les Dassault !