« Il faut manger pour vivre, et non vivre pour manger » : c’est le credo du nouveau dirlo. Alors, la révolte gronde, déjà…
Les petites mains : la révolution par les légumes

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« Et donc, on fait quoi ?
— Ben pour l’heure, on suit la ligne, pas le choix. On verra plus tard ce qu’on peut obtenir… »
Dans la salle à manger/de réunion/de mise en carton, au rez‑de‑chaussée, l’ambiance était bizarre, ce matin‑là, entre chuchotements et mines renfrognées.
« Qu’est‑ce qui se passe, vous faites la gueule ou quoi ? a lancé Cyril en entrant.
— C’est Tristan…
— Ben quoi, il est pas bien, notre nouveau dirlo ?
— Si, si… C’est juste que… L’autre jour, pour fêter son arrivée, on a voulu marquer le coup, se faire un repas un peu luxueux : on a acheté un poulet rôti.
— Waouh ! La classe !
— Ben non, en fait : il en a pas voulu. Il est végétarien. »
C’est pas la première fois qu’une fissure apparaît, dans l’équipe, entre « avec » et « sans » viande. Jusque là, si un camarade salarié se revendiquait végétarien, ou vegan, c’était simple : il se démerdait pour bouffer ce qu’il trouvait dans le frigo, pâtes, bière, citrons confits… Mais là, avec la question portée jusqu’au sommet de la hiérarchie, ça promettait quelques bouleversements.
« Et c’est pas le pire : l’autre jour, il a acheté des légumes. Et il nous a forcés à en manger. "C’est bon pour la santé !", qu’il a dit.
— Mais… on a déjà mangé des légumes, à Fakir, avant son arrivée, non ?
— …
— Euh… pas sûre…
— Si, une fois, j’avais mis des petits pois dans le riz cantonais. »
On part de loin, c’est sûr. Tout ce raffinement, d’un coup, ça peut vous déstabiliser une équipe. Les têtes étaient toutes déconfites, d’ailleurs.
« Tu vas voir que bientôt, on va devoir manger équilibré ! D’ailleurs, sache‑le, il a imposé une nouvelle charte : les portions de bouffe diminuent. Il a trouvé qu’on mangeait trop, trop gras, trop sucré. Que ça "nuisait à la productivité post‑repas", que c’était "mauvais pour l’organisme"…
— En même temps : y en a deux ici qui se sont retrouvés à l’hosto pour des artères bouchées, je vous rappelle. Et moi d’ailleurs j’ai pris cinq kilos, depuis les confinements…
— Nan mais tu vas pas te ranger de son côté ? Si on veut renverser la table, faire la révolution, il nous faut des forces, des trucs qui tiennent au corps ! Qu’est‑ce qui se vend dans les manifs ? Merguez‑frites, merde ! On va pas changer le monde à coup de tofu, de carottes râpées et de steaks de soja !
— En même temps, t’as déjà essayé de monter sur une barricade en surpoids ? Pour se glisser dans un jacuzzi, ça passe, mais pour le reste…
— Bon, et on fait quoi, du coup ?
— Rien. On se tait. On mâche. Et on observe, voir quand et comment retourner la situation. »
Il va peut‑être falloir un peu de temps d’adaptation, avant que les forces vives de la Fakirie picarde ne repartent au combat…