n° 93  

La santé, une fatalité ?

Par François Ruffin |

L’hôpital est un champ de ruines, et cela ne date pas d’hier. Vous en avez témoigné, dès le début de cette crise. Comme un rappel (et pour aider le ministère à comprendre).

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 Laure, Interne en médecine en Haute-Garonne

Objet : Marche ou crève

« Quinze journées de travail enchaînées, vendredi 24 heures, samedi non payé, dimanche 24 heures. Moi, c’était ça ma vague, il fallait tenir le coup. Douze jours de congés sur six mois, cela fonctionne ainsi, une moyenne horaire hebdomadaire qui ne se compte plus et un salaire net de 1 450 euros. Marche ou crève. Jour, nuit, jour, nuit et c’est reparti. »

 de : Lisa, orthophoniste dans le Rhône

Objet : Insupportable

« J’exerce comme orthophoniste mais j’ai été appelée pour travailler au foyer d’accueil médicalisé. Je me retrouve ainsi, du jour au lendemain, à effectuer des gestes techniques que je ne maîtrise pas, faire uriner quelqu’un à l’aide d’un urinal, changer une protection, laver, essuyer la personne… À travailler sans protection pour moi, sachant que certains résidents ont des symptômes. À être confrontée à des situations maltraitantes du fait de problèmes organisationnels, un résident baignant dans son urine parce que “ils savent que quand ils ont mangé, ils doivent nous attendre dans les chambres”. Tout ceci est insupportable. »

 de : Clément, ambulancier dans la Somme

Objet : « Nous ne sommes pas des héros : nous sommes le bug. »

« Nous ne sommes pas des héros, nous sommes des professionnels de santé ! Nous ne faisons rien de plus que le restant de l’année, donner les soins aux malades de ce pays. Nous ne voulons pas des applaudissements aux balcons. Nous voulons des masques, des tests, des respirateurs, du matériel médical. Nous le répétions déjà dans nos manifs. Comme réponse nous avons eu gaz, matraques, grenades, LBD, insultes... Que nos tutelles ministérielles comprennent enfin qui nous sommes. Nous sommes le bug de la ‘‘main invisible’’. La Santé ne peut pas être régie par la loi de la rentabilité. Faire plus avec moins, ici, c’est mourir ! Et même les plus riches reçoivent cette même mort en dividendes. »

 de : Pascal, infirmier dans le Jura

Objet : « Qui sera réanimé, ou pas ? »

« L’équipe de soins a été confrontée à la question suivante la semaine dernière : qui, parmi les résidents de l’Ehpad, serait transféré en réanimation si atteinte pulmonaire due au COVID ? Les dossiers des patients, âgés de 60 ans à 100 ans, ont été passés en revue. Le nombre de lits de réanimation étant ce qu’il est suite aux fermetures de lits depuis de nombreuses années, nous avons compris qu’il n’y aurait pas de la place pour tout le monde et qu’une sélection d’entrée se mettait en place ! Au final, les vieux ont “des pathologies incurables et chroniques” donc pas de réa et pas d’hospitalisation... D’un point de vue statistique ça fera moins de morts du Coronavirus… »

 de : Valérie, infirmière, Bouches-du-Rhône

Objet : Un pays sous-développé ?

« Je travaille à l’hôpital depuis 1995. Et au fil du temps, j’ai assisté à sa dégradation... Mais là, j’ai l’impression de travailler dans un hôpital des pays sous-développés. La prime de Macron de 1000 euros ? Lol ! Je veux du matériel pour me protéger. Des moyens pour travailler en sécurité. La reconnaissance de mon métier ! Et, aussi, tant qu’on y est : que le matériel hospitalier soit fabriqué en France. »

 de : Vivian, infirmier en Haute-Vienne

Objet : Goût amer

« Je veux qu’on sache. les applaudissements du soir me laissent un goût amer. Peut-être qu’ils manquent de conviction ? Peut-être, je peux pas juger de la conviction. Il y a trop de joie dans ces applaudissements. J’y entends l’écho de l’habitude aussi, parfois, celle d’un rendez-vous qu’on se donne, tous les jours à heure fixe, au moment de l’apéro. J’ai l’espoir qu’à l’habitude de ce cérémonial s’ajoute une rage, une révolte, devant l’impuissance à laquelle nous contraint la mort. Cette mort qui nous humilie. Travailler à l’hôpital, avec les ‘‘réanimés’’, c’est avoir en face de soi tous les jours les ravages de ce truc. Un lieu de vie qui se transforme en mouroir. Les sonnettes coupées parce que c’est pas possible de rentrer dans les chambres toutes les 5 minutes. C’est ton éthique qui se prend une mandale parce que l’urgence est ailleurs. Qu’est-ce qu’on applaudit à 20 heures au moment de l’apéro ? Nous ne sommes pas des artistes qui feraient une jolie performance. Qu’est ce qu’on approuve ? Qu’est ce qu’on admire ? Qu’est ce qui nous rend enthousiastes ? Alors oui applaudissons. Mais avec la conscience de ce qu’on encourage. »