À Lyon, c’est une petite "réveaulution" : l’eau redevient un service public. Dans le berceau de la Lyonnaise des Eaux, la Générale des Eaux, les deux géants…
Le racket tombe à l'eau

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À la tribune, les candidats de droite bafouillent un peu. « Oui, enfin… Le privé a ses avantages aussi… Le partenariat public-privé reste possible… » Ils ne s’attendaient pas à ce coup. C’était le 1er février 2020, près de Lyon, à l’occasion d’un grand « Village de l’eau », deux mois avant les Municipales. Isabelle Florin se souvient, et se marre : « On avait envie de mettre un coup de pied dans la fourmilière. Alors, à notre grande assemblée populaire, on a invité tous les candidats aux municipales et à la métropole. On fait une conférence de presse qui pique, en agitant le chiffon rouge des dividendes de Véolia, du prix trop élevé… Et dans la foulée, on leur demande, devant tout le monde : ‘‘Est-ce que, une fois élus, la gestion de l’eau redeviendra publique ?’’. On les a coincés. » Les candidats de gauche jurent tous solennellement la fin de la gestion privée, et si opaque, d’un marché à 90 millions d’euros annuels. Les médias présents n’en perdent pas une miette. « Quand on est sortis, on était soulagés, reprend Isabelle. On se disait qu’on avait peut-être gagné… »
C’est que le collectif Eau Bien Commun partait de loin. Et chassait, même, sur la terre des grands fauves. Lyon, capitale des Gaules, est aussi celle de la Générale (future Vivendi puis Véolia) et de la Lyonnaise des Eaux. Soit les deux multinationales qui ont fait main basse sur la flotte dans l’Hexagone. Au milieu des années 1980, grâce à des élus très conciliants – et bien arrosés ! –, avec la mode des « délégations de service public », c’est le jackpot pour les deux boîtes. « Très vite, c’est devenu scandaleux, retrace Alain Touleron, aujourd’hui retraité et militant à l’antenne lyonnaise d’Eau Bien Commun. Les factures ont explosé, Véolia se faisait des marges de 20 %, un double système d’abonnement était imposé… » Au milieu des années 2010, une campagne tente bien de revenir à une gestion publique. « Mais à Lyon, Gérard Collomb, alors maire, a fait pression sur les élus pour que rien ne bouge, regrette Alain. On a quand même obtenu que la délégation dure, cette fois, huit ans au lieu de trente. »
Second round en 2020, donc. Et cette fois, la machine est déjà rodée. « Le collectif a amalgamé des gens qui n’ont pas l’habitude de se parler, pointe Alain : une trentaine d’orgas, syndicats, groupements de consommateurs, et puis plein de partis, les Verts, le PC, la FI, Ensemble, et tout le monde s’entendait très bien ! C’est qu’on a pris le problème sous tous ses aspects : l’écologie, le social avec le droit à l’eau, les prix, la bétonisation des terres agricoles, les fuites du réseau que les gens payent… » Isabelle, institutrice, rejoint la campagne par curiosité. « J’ai grandi en Afrique, j’avais juste le souvenir, et ça m’émeut encore, de mes copines qui pouvaient pas venir à l’école avec moi parce qu’elles devaient aller chercher de l’eau. J’en savais pas plus : c’est un débat réservé aux experts. J’ai appris, j’ai bossé, il m’a fallu six mois. » Tracts, quatre-pages, compagnies de danse, concerts, ateliers « décryptage de facture d’eau » chez les gens… Isabelle en rigole : « Ils sont culottés dans le collectif, ça ose ! Ça a commencé à basculer quand on a vulgarisé une idée : Véolia vous fait les poches. Et puis, on a profité du contexte électoral. »
Mi-décembre, la métropole du Grand Lyon (1,4 million d’habitants), qui a donc entre-temps viré écolo, décidait le retour de l’eau en régie publique pour 2023. « Quand il y a une décision politique de passer en régie, ça fait mal à tout le monde » pleurniche le directeur régional de Véolia. À tout le monde, sauf aux gens : après trente-cinq ans de privé, c’est eux qui ont gagné !