Des trains supprimés, des élus qui se mobilisent, cinq ans de lutte… À Argenton-sur-Creuse, on n’hésite pas à descendre sur les rails pour faire plier l’état !
Le train sifflera sept fois

« En regardant les horaires, je me rends compte qu’il n’y a plus de train… J’étais complétement paniquée. Au guichet, ils enfoncent le clou : "Ils risquent aussi de supprimer le train de 10h." Alors là, j’étais folle ! » En ce mois de juillet 2017, Martine hallucine. Deux des six trajets quotidiens entre sa gare d’Argenton‑sur‑Creuse, près de Châteauroux, et Paris ont été supprimés. Il n’est même plus possible de faire un aller‑retour depuis Paris dans la journée ! « Beaucoup de gens voyagent régulièrement vers Paris, certains sont arrivés ici après le Covid. Mais moi, je ne serais jamais venue dans le coin si j’avais su que la desserte était dans un tel état… »
Martine, comédienne, soixante‑cinq ans, n’est pas forcément portée sur la lutte, mais décide de réagir. Et commence, seule, son premier mouvement citoyen : « Au début, j’étais paumée. Ce sont des choses que je n’avais jamais faites ! Ça m’a pris ma vie, l’investissement a été énorme. » Un travail de fourmi. « Il a fallu rassembler les gens, les élus, leur mâcher le boulot. » Un élu et militant s’embarque avec elle dans le combat : Guillaume Chaussemy, maire de Pont‑Chrétien‑Chabenet. Ensemble, ils mettent en place une pétition, créent le comité de défense de la gare d’Argenton‑sur‑Creuse, organisent une première réunion publique. Le soutien des citoyens est immédiat : « Très vite, beaucoup de monde s’est rallié à la cause. Aujourd’hui, on est à plus de treize mille signatures ! ». Obtenues à la sueur du front. « Ça a été long, pénible, fatigant. Au départ, c’est beaucoup de mépris qu’on reçoit dans la figure. On ne me prenait pas au sérieux. » Opiniâtre, Martine ne lâche rien. Citoyens et élus participent à une trentaine d’actions Stop Train sur les rails, en plus des manifestations. « En plein hiver, à 5h30 du matin, on était cent cinquante sur les voies pour arrêter le Argenton‑Paris de 6h00 ! » Le genre d’actions qui attire l’attention, forcément. En la voyant écumer les médias, certains collègues pensent même qu’elle a arrêté son travail !
Le collectif arrache, d’abord, des bouts de victoire : un trajet de plus ici ou là. Mais à des heures impossibles. « Ils se fichaient de nous. Ils savaient très bien que ce n’était pas recevable. C’était de la pure provocation », se souvient‑elle. Alors, ils contactent le Préfet de l’Indre ! « On arrêtait trois trains par semaine ! Trois ! C’est ce qui a fait pression », assure Martine. La présence des élus locaux dans les manifestations fait aussi sérieusement pencher la balance. Le Préfet contacte le ministre des Transports, et le gouvernement finit par plier. « L’État a répondu à l’État : le gouvernement nous a donné ce qu’on souhaitait », résume Guillaume. Et même mieux : tous les trajets de 2017 sont rétablis, et, cerise sur la locomotive, une desserte supplémentaire pour Paris en journée leur est accordée. Soit sept trajets en tout.
Ce 8 juillet, pour les débuts de la nouvelle grille horaire, une grande fête est organisée. « Il faut que l’état voie que les citoyens sont toujours là. Ce n’est pas parce qu’ils nous ont donné ce qu’on voulait que les gens se sont endormis », assure Guillaume. Il faudra encore surveiller, en gare, que les horaires ne changent pas. Mais Martine est sûre d’une chose : « Les gens sont fiers d’avoir gagné. Le mouvement a engendré une vraie dynamique, une solidarité, a motivé les plus réticents. Un exemple : les commerçants ont fini par tous adhérer au comité, et organisé avec nous la fête du train. Les gens ont pris en assurance : si l’état recommence, ils redescendront sur les rails. » à la vitesse d’un TGV, cette fois !