Elles ont tenu leur boîte pendant la crise, lui ont permis d’engranger les bénéfices, mais n’avaient plus un rond le 15 du mois.
Les Vertbaudet, taille patronnes !

« Faut pas l’oublier : il y a deux tentatives de suicide dans les locaux. Un intérimaire notamment s’est ouvert les veines avec son cutter devant les cadres », souffle Mohammed. L’ambiance est délétère, en ce début 2023, chez Vertbaudet, l’entreprise de prêt-à-porter pour enfants de Marquette-lez-Lille, dans le Nord.
Les employés, essentiellement des femmes, dépriment. Ce sont elles, pourtant, qui ont tenu leur boîte pendant la crise Covid. Mieux, même : l’entreprise a alors engrangé 250 millions de chiffre d’affaires, et plus de 300 en 2021. Avec 11 millions de bénéfice net à la clé. Pourtant, elles doivent se serrer la ceinture. « Ça fait cinq ans que je ne suis pas partie en vacances », raconte Nathalie. « La dernière fois que j’ai été au cinéma, c’était pour les Tuche 1 », confie Manon. « Les sorties, ça chiffre vite. Alors on va au parc. C’est gratuit », explique Anaïs.
Sur ce ras-bol général, une étincelle met le feu aux poudres : les négociations annuelles obligatoires de mars 2023, qui s’avèrent « fictives ». « On n’a pas eu un centime d’augmentation », s’insurge Mohammed. Des primes sont prévues pour les temps pleins, mais la majorité des employées sont à temps partiel. Alors, le 20 mars 2023, 82 salariés sur les 327 de l’entrepôt se mettent en grève. Pour beaucoup, c’est la première fois, malgré plus de vingt ans d’ancienneté pour certaines. Une première, aussi, pour les dirigeants de la boite, que de faire face à un tel mouvement. D’autant que la CGT de Tourcoing rejoint la lutte. Sonia, secrétaire de l’Union locale : « On tractait déjà devant l’entreprise, à quatre heures du matin, contre la réforme des retraites. On sentait que le climat était anxiogène pour les salariés, dans cette boite, avec des conditions de travail dégradées, des salaires qui stagnaient au SMIC. La colère montait. »
Et pour cause : « À la pause, on ne peut plus manger, juste boire de l’eau. Selon la direction, ça tacherait les vêtements… alors qu’ils sont déjà emballés », illustre Manon. L’ambiance est lourde. Et les tentatives de suicide, il ne faut « pas en parler », la direction ne veut « pas que ça se sache ». La grève, du coup, pour briser le silence. « Mais on a un patron, en face, qui ne veut rien céder. » Alors, devant les grilles de l’entreprise, on installe un vieux canapé, on met la musique à fond. Le piquet est tenu 24h/24. Une caisse de grève est lancée. « Et le ton monte », se rappelle Sonia. « Ils ont commencé à dénigrer les salariés grévistes, en disant aux autres que l’entreprise ne s’en relèverait jamais. Bref, ils nous culpabilisaient. » La présence policière s’accentue, aussi. Le piquet de grève est évacué ? Les grévistes y reviennent. Jusqu’au moment où tout bascule : deux militants de la CGT sont violentés par les forces de l’ordre. « L’un notamment est plaqué au sol, avec huit policiers contre lui. Ils ont voulu faire peur aux grévistes et à leurs soutiens » raconte Sonia. Raté : c’est l’inverse qui se produit. L’incident médiatise l’affaire, une tribune de plus de cent élus et artistes est publiée dans Le Monde. Près de 50.000 personnes alimentent la caisse de grève.
« À un moment, la pression a été tellement forte qu’ils ont été obligés de passer à table », explique Sonia. Tout en ne lâchant que des miettes, au début. « On ne vous augmente pas pour pas que vous perdiez les aides de la CAF ! », ose la direction. Mais les grévistes tiennent, encore et toujours. Jusqu’à ce que la direction cède, début juin : les employés arrachent en moyenne 140 euros d’augmentation. « C’est une belle victoire, un très bel exemple de lutte », s’étonne presque Sonia. Le conflit est même devenu un symbole : certains travailleurs menacent maintenant leur direction de « faire une Vertbaudet ». Et, à la fin, gagner !