n° 105  

Les petites mains : culture d’entreprise

Par Le SPMF, syndicat des petites mains de fakiriennes |

À Fakir, c’est le retour de méthodes qu’on croyait disparues à tout jamais…

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« Ça va, les filles ? Pas de souci, tout roule pour les envois ? »
Il était tout gentil, une voix toute mielleuse, notre nouveau rédac’ chef, au bout du fil. On finissait tout juste de boucler, quoi ? 400 envois à la presse et aux copains de notre dernier bouquin, Comment ils nous ont volé le football.
« Ben oui, ça va, pourquoi ? On finit les colis, ça va partir.
— Ah ben tiens, justement, voilà, euh… ça tombe bien que tu m’en parles, je me suis aperçu qu’y avait un tout petit truc qui collait pas, dans la lettre d’accompagnement.
— …
— Voilà, c’est que j’ai fait une légère erreur dans la date, en deux endroits, c’est pas le 27 novembre qu’il sort le bouquin, c’est le 27 octobre, ah ah, c’est marrant non, un mois d’écart tout juste ! Bon, bref, du coup, je vais te refaire la lettre, et faudrait juste mettre la bonne version dans les enveloppes à la place de la mauvaise.
— Tu veux qu’on imprime 400 nouveaux courriers, qu’on rouvre les 400 enveloppes kraft qui sont déjà bien collées, qu’on fasse le changement, qu’on recolle au scotch, c’est ça ?
— Euh, en gros, oui. Après tu sais, moi, les aspects techniques… »

On s’est rapidement concertées, avec Magalie, Pascale, Karine et les autres, qu’on puisse en débattre. « Eh, les filles : y a Cyril qui veut qu’on refasse tout ce qu’on a fait depuis ce matin ! En deux heures, avant que ne passe la Poste !
—  Ha ha ha ha ha !!
—  Y rêve !
—  Il se prend pour Ruffin ou quoi ?
"L’intendance suivra", c’est ça ?
—  Ça lui monte à la tête, les responsabilités ? »

On a repris le combiné, toutes ensemble. « Tu sais que là, on bosse depuis ce matin dessus ? Qu’on se mettait à table, d’ailleurs, on crève de faim ?
— Tout de suite, la
"faim"… Les grands mots ! Ça se décale, non, un repas ? Vous pourriez peut-être, exceptionnellement, manger demain ? Parce que bon, si notre bouquin il arrive dans les boîtes aux lettres après la finale de la Coupe du monde, c’est pas la peine. Y a la nourriture intellectuelle, aussi. Et on a une responsabilité : la distribuer au plus grand nombre.
—  Mais c’est quoi ton charabia, là ?
—  Non mais c’est vrai, quoi…
—  Attends, t’as toujours été de notre côté, du côté des petites mains, t’es un des plus anciens du syndicat. Et là, ça y est, tu passes du côté du manche ?
—  Mais non, arrête, je suis toujours des vôtres, solidaire, bien sûr ! Et justement : sur ce coup-là, faut qu’on se serre les coudes ! Que, tous ensemble, on rattrape la petite bêtise de l’un des nôtres…
—  La petite bêtise ? La grosse connerie, oui !
—  Oui, appelons ça comme on veut, on va pas pinailler. Maintenant faut trouver une solution pour rattraper le coup, non ? On a partagé tant de rêves de jacuzzi, ensemble… Solidaires, camarades ! »

Deux heures plus tard, tout était imprimé, ouvert, glissé, refermé, mais on n’avait toujours rien avalé. Il nous a eues aux sentiments, cette fois. Mais on a bien compris : le combat reprend de plus belle, pour faire valoir nos droits…