Un parc de 110 km², 62 éoliennes, 496 MW de puissance, et deux milliards d’euros d’investissements : c’est un mastodonte, en mer du Tréport ! J’avais déjà entendu des débats sur les éoliennes en mer, le sacrifice visuel, la dégradation des fonds marins, les retombées économiques. Mais l’histoire se répète : c’est toujours celle des petits contre les gros…
Les sardines et les requins
Par Maëlle Beaucourt

« Ces foutues éoliennes vont nous gâcher la vie. C’est ce qu’elle m’a dit, la dame ! » Papi, chez qui je suis venue profiter de la bonne bouffe, me tend le plat : un gratin de butternut. Et me raconte en même temps l’échange houleux qu’il a eu avec la poissonnière à la criée du Tréport (c’est en Seine-Maritime), la veille. Le sujet : une étrange nappe d’huile au large des côtes, détectée fin août. Depuis, les autorités sanitaires n’ont (apparemment) toujours pas identifié sa provenance. « Elle m’a même dit que les journalistes entretiennent l’omerta, que personne n’en parlent. Mais bon, ce qui est sûr, c’est que là-bas, tout le monde se pose des questions sur l’implantation du parc éolien. »
Ça fait déjà dix-sept ans que le projet est sur toutes les lèvres, dans le coin. Depuis toute gamine j’en entends parler ! En 2014 les choses se concrétisent : la société Éoliennes en mer Dieppe Le Tréport remporte l’appel d’offre lancé l’État. S’ensuivent débat public, concertation post débat public… puis un avis défavorable rendu en 2017 par le Parc naturel des estuaires picards et de la mer d’Opale. Puis un avis favorable avec réserve par l’Agence française pour la biodiversité, en 2018...
Bref, c’est le bazar, depuis longtemps, cette histoire.
Mais finalement, en janvier 2024, un an tout juste, les premiers travaux en mer étaient lancés.
Les histoires de Papi, ça m’a donné envie d’aller voir…
« Ça va être un sacré bordel »
Samedi 5 octobre, le Tréport
Devant la poissonnerie de la ville, Fanny vend des moules. Bouchot ou sauvage, il y a le choix. Elle est toute pétillante derrière son étal, et son fard à paupières brillant fait ressortir ses yeux foncés. Mais dès que je lui parle des éoliennes, elle fronce les sourcils. « Ils sont marrants avec leurs énergies vertes. Pourquoi Macron ne les met pas au Touquet, les éoliennes ? J’habite dans un petit village à côté d’ici, je me coltine déjà les éoliennes derrière dans mon jardin, c’est bien assez. C’est horrible le bruit qu’elles font, quand j’accroche le linge dehors… ! Et puis le vent ! Depuis qu’elles sont là on a beaucoup de vent ! Du coup, je ne vais plus m’allonger pour bronzer dans le jardin… »
Franck, son mari, rejoint la conversation. C’est lui qui pêche les moules. La clope au bec, il marmonne. « On vit dans un monde de fous. Ils disent qu’on ne verra pas les éoliennes là où elles seront… Alors que déjà, là, on voit la plateforme, au loin, faire les forages. Ça nous fend le cœur. »
« Et cette nappe d’huile dans l’eau, vous en avez entendu parler, j’imagine que…
– J’ai des copains qui ont vu des vidéos tourner sur Snapchat… »
Je n’ai même pas fini ma question que Babasse, Bastien de son prénom, se confie sur le ton du secret : « Apparemment c’était des Hollandais qui travaillent sur la plateforme. Ils se sont filmés en train de déverser de l’huile dans l’eau… »
C’est un ancien pêcheur, Babasse, mais depuis qu’il a eu sa fille, il a arrêté d’aller en mer. Mais reste bien informé sur ce qu’il s’y passe. « Avant que l’info ne soit publique, les pêcheurs, eux, ça faisait déjà un mois qu’ils voyaient cette tâche dans l’eau. Tout le monde a été au courant lorsque les ouvriers qui travaillaient sur la plateforme sont rentrés à quai. » Tout le monde a quelque chose à dire sur cette huile répandue en mer, persistante mais qui avait bloqué la pêche et la baignade le temps d’une journée seulement. « On ne sait rien, en fait. Tout est flou. Mais bon, on est quasi sûr que c’est à cause de ces fichues éoliennes », conclut Fanny.
« Ici, on est chargé en conneries. »
Chez Monique et Yves.
Je finis ma journée en buvant un café au lait chez Monique. On s’était croisés au stand de moules de Fanny. « Tu viendras bien prendre un petit kawa à la maison ? J’ai mon mari qui pourra t’en parler, des éoliennes… » Elle reprend sa respiration : « il a été marin toute sa vie. »
Assis autour de la table de la cuisine, Yv
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